Cette tribune a paru dans « Le Monde de l’éducation », mardi 14 novembre 2023.
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Pénurie d’enseignants : « Faute de bilan des réformes précédentes, l’annonce d’un déplacement du concours sera insuffisante pour attirer des candidats »
Collectif
Le déplacement annoncé du concours de recrutement des professeurs des écoles ne doit pas se faire au détriment d’un bilan de l’actuelle formation des enseignants, minée par les réformes incessantes, argue un groupe de trente associations du Collège des sociétés savantes académiques de France, dans une tribune au « Monde ».
Depuis la rentrée scolaire, le président de la République, Emmanuel Macron, et le ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal, martèlent la promesse de mettre, devant chaque élève du primaire, un enseignant ou une enseignante. Comment en recruter suffisamment, alors que les vocations se font de plus en plus rares ? Et comment les former ?
S’il faut, bien sûr, améliorer les conditions d’exercice du métier, il est aussi indispensable de s’intéresser à la façon d’accéder au métier. C’est une voie que semble avoir choisie le gouvernement : pour pallier les difficultés de recrutement, il envisage de déplacer le concours de bac + 5 à bac + 3 et, pour assurer la formation, de créer de « nouvelles écoles normales du XXIe siècle ». Ces mesures témoignent d’un fort volontarisme politique mais, dans les faits, quelle serait leur utilité ?
Depuis 2010, les réformes de la formation des enseignants se succèdent à un rythme effréné, toutes modifiant la place du concours et la structure chargée de la formation, sans que soit pris le temps d’évaluer leurs effets, voire sans leur permettre d’avoir un quelconque effet. Les récentes annonces donnent l’impression d’un retour en arrière : le concours était au niveau bac + 3 avant 2009, et la formation était assurée au sein des écoles normales jusqu’en 1990.
Pour éviter une accumulation inconsidérée de dispositifs, il faut dépasser les effets d’annonce et adopter une méthode qui s’appuie sur l’expérience acquise. A défaut, l’école continuera à s’enfoncer dans la crise et le nombre de candidats au métier de professeur des écoles à s’effondrer. Prenons donc le temps de réfléchir à l’articulation entre le recrutement et la formation des enseignants pour en saisir une vue globale.
Commencer la formation en licence
Un enjeu central de la formation initiale des professeurs des écoles est la recherche d’un équilibre entre les multiples éléments qu’elle doit apporter aux futurs enseignants. Ceux-ci doivent impérativement maîtriser les bases de toutes les disciplines à enseigner. Ils ont également besoin d’acquérir des connaissances en didactique et en pédagogie, et d’effectuer des stages dans les classes. Enfin, ils doivent apprendre à analyser leurs pratiques pour pouvoir progresser et s’adapter à l’inévitable évolution des connaissances et des publics. La qualité de cette formation initiale est d’autant plus importante que la formation continue est aujourd’hui indigente, n’offrant que de maigres possibilités pour continuer à se former après leur recrutement.
Actuellement, la formation initiale est concentrée sur les deux années que dure le master. Or, étudiantes et étudiants abordent ces masters avec des bagages disciplinaires et une sensibilisation à l’éducation très hétérogènes. Le temps manque pour développer tous les éléments de la formation, les disciplines entrent en concurrence les unes avec les autres, et des lacunes inquiétantes persistent à l’entrée dans le métier. Commencer la formation en licence, comme le font certains pays européens, permettrait de repenser et de bâtir une formation disciplinaire et professionnelle cohérente et progressive.
Si la formation commence en licence, quelle structure doit en avoir la charge ? Rappelons qu’un master est requis pour la titularisation et que la formation doit être nourrie par une initiation à la recherche. En effet, la capacité à mettre en œuvre une démarche de recherche face aux questions qu’ils rencontrent permet aux enseignantes et aux enseignants de progresser dans leur pratique, de faire le tri entre ce qui relève des savoirs établis et des croyances, de donner le meilleur à leurs élèves tout au long de leurs quarante ans de carrière. Une forte implication du monde académique étant fondamentale, la formation initiale doit se faire dans les universités.
Réflexion collégiale sur le long terme
Se pose enfin la question de la place et du contenu du concours, que l’on ne peut choisir sans avoir anticipé leur articulation avec la formation. En effet, l’année du concours, sa préparation capte inévitablement l’investissement des étudiantes et des étudiants. Son contenu doit donc être en cohérence avec les attendus de la formation pendant la période de préparation. Il est, par exemple, impossible de préparer un concours très académique tout en réfléchissant sereinement à ses pratiques en classe, comme en témoigne l’amère expérience de la dernière réforme. En aval, la réussite au concours peut ouvrir la voie à un flux de lauréats n’ayant pas suivi un parcours standard. La formation devra s’adapter au mieux à cette population hétérogène pour l’accompagner jusqu’à la titularisation.
De nombreuses questions se posent donc qui attendent des réponses techniques et politiques. Entre autres : quelles seraient la place et la nature des épreuves du concours et à quel public s’adresse-t-il ? Quelle rémunération et quel statut après le concours si l’on positionne celui-ci en fin de licence ? Quelle formation après le concours pour obtenir un master, et quel master ? Quelle articulation entre formation à l’université et sur le terrain ? Comment bien intégrer dans le dispositif les nombreuses personnes en reconversion professionnelle ? Quels formateurs et quelle formation pour les formateurs ?
Faute de bilan des réformes précédentes et de réponses précises à ces questions, l’annonce d’un déplacement du concours et d’une nouvelle réforme de la formation sera insuffisante pour attirer des candidats de bon niveau, en nombre suffisant. Cette annonce ne rendra pas non plus de sens au travail des équipes de formateurs et d’enseignants qui, dans les universités, et en particulier dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé), s’épuisent à s’adapter aux réformes trop fréquentes et insuffisamment réfléchies.
Pour sortir de la crise actuelle, nous attendons du ministère l’organisation d’une réflexion collégiale sur le long terme, afin qu’un dialogue serein s’établisse entre tous les acteurs concernés, permettant de travailler en synergie à l’élaboration d’un dispositif stable et suffisamment bien pensé pour redonner une attractivité au métier d’enseignant.
Signataires : Louise Nyssen, coordinatrice de la commission enseignement scolaire du Collège des sociétés savantes académiques de France ; Yves Bertrand, président de la Société informatique de France ; Pierre Chavel, secrétaire général auxiliaire de la Société française d’optique ; René Clarisse, président de la Société française de psychologie ; Elisabeth Dodinet, présidente de la Société botanique de France ; Mathieu Duplay, président de l’Association française d’études américaines ; Fabien Durand, président de la Société mathématique de France ; Marie-Line Gardes, présidente de l’Association pour la recherche en didactique des mathématiques ; Laurent Gautier, président de l’Association des germanistes de l’enseignement supérieur ; Franck Gilbert, vice-président de la Société française d’écologie et d’évolution ; Jean-Pierre Gueneau, président de la Société nationale d’horticulture de France ; Dominique Helmlinger, Société française de génétique ; Christophe Jaffrelot, président de l’Association française de science politique ; Jean Jouzel, président de la Société française de la météorologie et du climat ; Marianne Jover, présidente de l’Association des enseignants-chercheurs en psychologie des universités ; Isabelle Kermen, présidente du conseil d’administration de l’Association pour la recherche en didactique des sciences et des technologies ; Jean-Louis Kerouanton, administrateur du Comité d’information et de liaison pour l’archéologie, l’étude et la mise en valeur du patrimoine industriel ; Nadège Lagarde, présidente de la Société française d’astronomie et d’astrophysique ; Nicolas Le Roux, président de l’Association des historiens modernistes des universités françaises ; Cédric Lomba, coprésident de l’Association française de sociologie ; Pascale Manoïlov, présidente de l’Association pour la recherche en didactique et acquisition de l’anglais ; Florence March, vice-présidente recherche de la Société d’études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles ; Claude Miaud, président de la Société herpétologique de France ; Anne Philippe, présidente de la Société française de statistique ; Claire Piolti-Lamorthe, présidente de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public ; Frédéric Pitout, président du Comité de liaison enseignants et astronomes ; Alexandra Poulain, présidente de la Société des anglicistes de l’enseignement supérieur ; Daniel Rouan, président de la Société française de physique ; Manuel Royo, président de la Société des professeurs d’histoire ancienne de l’université ; Claire Soussen, présidente de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public ; Catherine Vénien-Bryan, Société française des microscopies.