Tribune : Contre la réforme des concours de recrutement des enseignant·es, juin 2024

Che·res collègues,

Le Monde vient de publier un texte dénonçant la réforme des concours de recrutement des enseignant·es, co-écrit et co-signé par une trentaine de sociétés savantes. Le bureau de la SAES en est signataire.

Vous trouverez le lien vers la tribune du Monde ainsi que le texte intégral ci-après.

Pour le bureau,
Tim Heron

https://www.lemonde.fr/education/article/2024/06/04/on-ne-suscitera-pas-de-nouvelles-vocations-en-reduisant-la-formation-disciplinaire-des-candidats_6237166_1473685.html

Recrutement des enseignants à BAC + 2,5 :
Pourquoi et comment ne pas mettre en place cette réforme !

Le gouvernement cherche à faire passer à la hussarde une réforme des concours de recrutement des Professeurs certifiés qui enseignent dans les collèges et les lycées (Capes) alors que depuis plusieurs mois de très nombreuses instances du monde de l’Éducation ont clairement démontré les risques d’un tel projet tant pour la formation des enseignants que pour celle des élèves.

C’est pourquoi, samedi 25 mai 2024, s’est tenue à la Sorbonne une assemblée extraordinaire réunissant 30 Sociétés Savantes et Associations de Professeurs de l’Enseignement Secondaire, des membres des sections du Conseil National des Universités, des jurys de concours du Capes et de l’Agrégation, déterminés à exprimer leur profond désaccord tant avec le projet de réforme qu’avec la méthode employée : sans concertation ni élaboration démocratique cette réforme nommée « École normale du XXIe siècle » revient au contraire à des injonctions autoritaires d’un autre temps.

Concrètement : en faisant passer de la 5e année (Master 2) au milieu de la 3e année (Licence 3) le moment des épreuves du Capes, le gouvernement fait le choix d’un effondrement inéluctable de la formation disciplinaire des candidats.

Pourquoi alors un choix aussi aberrant ? Il s’agit d’une tentative désespérée pour compenser la désaffection des étudiants pour les concours d’enseignement : on comptait en effet 4000 places non pourvues en 2022 et 3100 places en 2023 — auxquelles il convient d’ajouter les démissions des lauréats : si en 2012-2013, le Ministère de l’Éducation Nationale annonçait la démission de 491 enseignants, ils étaient 2978 en 2021 dont près du quart (692) d’enseignants stagiaires. Démunis dans leurs savoirs disciplinaires, ces jeunes enseignants seront plus nombreux encore à démissionner. En plaçant les épreuves des concours plus tôt, le gouvernement vise donc uniquement à toucher un vivier forcément plus nombreux de candidats.

Mais à quel prix pour les futurs élèves ? Cette stratégie catastrophique annonce un effondrement des connaissances disciplinaires des futures recrues : plutôt que de mettre devant les élèves des enseignants compétents aux connaissances solides, il s’agit de se contenter de recruter des adultes réduits à diffuser un savoir minimal. Et si certaines disciplines jugent aujourd’hui que les étudiants de 5e année n’ont pas un niveau disciplinaire suffisant et ne pourvoient pas tous les postes du Capes, qui peut raisonnablement croire que le niveau des étudiants de 3e année sera meilleur ?

S’il fallait un seul exemple pour montrer combien cette réforme n’a pas été pensée, il suffirait de dire que c’est le plus souvent en 3e ou 4e année d’université que les futurs professeurs de langue partent en Erasmus à l’étranger pour perfectionner leur pratique linguistique. Avec un recrutement en cours de 3e année, on exclut définitivement cette année pourtant capitale. À l’heure où d’ores et déjà, les jurys de certains Capes de langue rechignent à pourvoir tous les postes au concours en raison du niveau insuffisant de certains candidats, est-on bien certain que le recul annoncé améliorera les choses ?

Cette réforme se fonde par ailleurs sur une rémunération biaisée des futurs lauréats. En faisant miroiter une rétribution de quelques centaines d’euros — qui ne seront pas un vrai traitement ouvrant par exemple des droits pour les retraites —, non seulement le projet cherche à sous-payer les jeunes professeurs pendant les deux premières années qui suivront la réussite du concours, mais il ne peut pas même garantir qu’ils seront nommés dans leurs académies. En outre, conscient de la faiblesse des connaissances des nouveaux professeurs, le projet annonce que ces derniers auront à mener de front leur formation pédagogique, les nouveaux cours dans leurs classes mais aussi le renforcement de leur apprentissage dans leur matière : cela est tout simplement irréalisable pour de jeunes professeurs et menace le niveau des cours dispensés aux élèves de ces enseignants inexpérimentés.
La multiplication incessante des réformes des concours de recrutement démontre l’inefficacité de choix politiques précipités et illisibles. Ce dernier projet est l’assurance d’une diminution brutale de la formation disciplinaire. Il met gravement en péril la qualité de l’enseignement que recevront les futurs élèves. Précariser la formation des jeunes revient à précariser leur avenir. C’est grâce aux savoirs, aux savoir-faire et à une solide formation que nos enfants deviendront des citoyens à part entière.
Nous exigeons l’abandon de ce projet et une remise en chantier concertée de cette réforme qui est à contre-courant des ambitions européennes en matière d’enseignement.
À quelques jours des élections européennes, l’ambition du gouvernement ne peut être de vouloir mettre en œuvre un projet de réforme qui fera que les enseignants français seront parmi les moins bien formés d’Europe. Une autre réforme, intelligente et concertée, est possible. Nous, Présidentes et Présidents des Sociétés savantes et d’Associations de l’Enseignement Secondaire, avec le soutien de Présidentes et Présidents des Conseils Nationaux des Universités et de Présidentes et Présidents des jurys de concours sommes disposés à exposer nos propositions pour enrayer la désaffection des jeunes générations pour un métier passionnant et longtemps garant d’une équité républicaine. Car enseigner, c’est d’abord la passion d’un métier et le désir de transmettre son goût pour une discipline, et le savoir qu’on en a acquis. On ne suscitera pas de nouvelles vocations en réduisant la formation disciplinaire des candidats aux concours car on ne résout pas un problème de recrutement en déqualifiant intellectuellement et statutairement un métier.

Contre cette réforme, nous appelons les Universités à ne rien modifier de leurs maquettes actuelles de Licence : accepter de travailler dans la précipitation, c’est déjà accepter les injonctions de cette réforme. Plusieurs Universités et INSPE ont d’ores et déjà refusé de le faire. Soyons solidaires !
Nous demandons aussi avec force à tous nos Collègues de refuser de siéger dans ce concours si le gouvernement s’entêtait à le mettre en place. Cela relève de notre responsabilité de ne pas cautionner une telle réforme.

En outre nous vous appelons à continuer à signer et à diffuser largement notre pétition en ligne :
https://www.change.org/p/refuser-que-la-france-ait-les-enseignant-es-les-moins-form%C3%A9-es-d-europe#

Liste des 30 Sociétés Savantes et Associations de l’Enseignement Secondaire signataires de cet appel :

ACEDLE (Association des Chercheurs et Enseignants Didacticiens des Langues Étrangères)
AFEA (Association Française d’Études Américaines)
AFHMT (Association Française pour l’Histoire des Mondes du Travail)
AFR (Association Française des Russisants)
AFS (Association Française de Sociologie)
AGES (Association des Germanistes de l’Enseignement supérieur)
AHMUF (Association des Historiens Modernistes des Universités Françaises)
APBG (Association des Professeurs de Biologie et Géologie)
APHG (Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie)
APL (Association des Professeurs de Lettres)
APLAES (Association des Professeurs de Langues Anciennes de l’Enseignement Supérieur)
APLV (Association des Professeurs de Langues Vivantes)
APMP (Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Public)
APPEP (Association des Professeurs de Philosophie de l’Enseignement Public)
APSES (Association des Professeurs de Sciences Économiques et Sociales)
ARDAA (Association pour la Recherche en Didactique et Acquisition de l’Anglais)
ARDM (Association pour la Recherche en Didactique des Mathématiques)
Fédération BioGÉE
H2C (Historiennes et Historiens du Contemporain)
SAES (Société des Anglicistes de l’Enseignement Supérieur)
SFEJ (Société Française des Études Japonaises)
SFHPo (Société Française d’Histoire Politique)
SFP (Société Française de Philosophie)
SFP (Société Française de Physique)
SHMESP (Société des Historiens Médiévistes de l’Enseignement Supérieur Public)
SIES (Société des Italianistes de l’Enseignement Supérieur)
SLNL (Société des Langues Néo Latines)
SMF (Société Mathématique de France)
SOPHAU (Société des Professeurs d’Histoire Ancienne de l’Université)
SoFHIA (Société Française des Hispanistes et Ibéro-Américanistes)
UPBM (Union des Professeurs de Physiologie, Biochimie, Microbiologie)
UPPC (Union des Professeurs de Physique et de Chimie)


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