Appel à communications – Habitabilité des mondes cartographiques
Colloque international et transdisciplinaire organisé en partenariat avec les Archives Nationales et l’EnsAD dans le cadre du projet « Mondes, interfaces et environnements à l’ère du numérique » soutenu par le Labex Arts-H2H les 11-12 et 13 décembre 2017.
Lieux : Université Paris 8, Saint-Denis, France / Archives nationales, Pierrefitte, France.
Organisateurs : Pierre Cassou-Noguès (Paris 8), Lucile Haute (Université de Nîmes), Arnaud Regnauld (Paris 8), François Sebbah (Paris 10), Gwenola Wagon (Paris 8)
Les conférences plénières seront annoncées sous peu.
Pluridisciplinaire, ce projet accueille des contributions des champs suivants : arts, philosophie, littérature, archivistique, géopolitique, géographie, histoire des sciences et techniques, neurosciences.
Argument
« Les Collèges de Cartographes levèrent une carte de l’Empire qui avait le Format de l’Empire et qui coïncidait point par point avec lui ». La carte 1/1 ne semblait pas très pratique à l’usage et – comme le raconte Suarez Miranda, ou Borges qui retranscrit le texte de cet auteur pour le reste inconnu – elle fut rapidement abandonnée « aux animaux et aux mendiants ». Evidemment, Borges n’a pas compris que, avec un rapide mouvement des doigts sur l’écran d’un appareil qui tiendrait dans la poche, et permettrait aussi d’entrer en contact n’importe quel point de la carte, il serait possible d’en modifier l’échelle, de la rendre toute petite, ou énorme et d’y faire apparaître aussi une multitude d’éléments invisibles à l’œil nu : la météo du lendemain, la propagation dans ces régions du virus de la grippe, les souvenirs des touristes passés dans ces villes l’année précédente, les trajets les plus fréquents des habitants, leur activité cérébrale peut-être sur laquelle apparaîtraient les spécificités de leur caractère.
Les explorateurs ont bâti leurs rêves sur les manques à combler des cartes. Certains manques, ont fait l’objet de quêtes cartographiques durant des décennies qui relèvent aujourd’hui de la fiction. Ainsi on a cherché les traces du déluge de Noé, l’El Dorado, la Terra Australis ou encore les canaux de Mars. Si les explorateurs ont passé leur vie à cartographier, nous passons nos vies dans des modalités cartographiques que nous nourrissons littéralement de nos données et optimisons de par nos déplacements et nos échanges. Il ne fait pas de doute que l’ère des écrans a engendré un usage massif et extraordinairement divers des cartes : cartes géographiques, de toutes sorte d’échelles et d’usages, cartes de visualisation des données, cartes du cerveau. Cette multiplication et cette diversité d’usage se conjuguent à la recherche de modes d’appropriation des données cartographiées innovants, dans les domaines techniques comme culturels, patrimoniaux et mémoriels. Cette recherche est poursuivie autant par les producteurs actuels de cartes que par les responsables de leur conservation à travers le temps, tels que les archivistes, ces acteurs agissant parfois ensemble pour promouvoir, grâce à de nouvelles approches transdisciplinaires, l’étude et la valorisation, scientifique comme artistique, de documents anciens, « beaux « ou moins « beaux », abscons ou limpides, porteurs souvent autant de symboles et de poésie que d’Histoire.
Pourquoi des cartes alors ? Pourquoi la multiplication des cartes sur nos appareils, quels en sont les usages, en quoi modifient-elles notre pensée et notre sensibilité ? Sommes-nous incorporés dans la carte autant que nous incorporons les données de la carte ? Si nous la portons au plus proche de nos organes (œil, peau et oreille), la cartographie devient-elle une seconde peau ? Est-ce une – Seconde Terre – opérable – dont les matériaux algorithmisés pour la fabriquer sont l’or, traqué de compagnies qui cherchent à façonner les modalités de représentation du monde ? A tel point, qu’il semblerait que plus rien ne soit à l’extérieur. Que reste-il du dehors ? De fait, que reste-t-il de notre rapport à l’étendue concrète dès lors que cette démarche consiste à nous abstraire du monde ? En d’autres termes, l’approche topographique revient-elle à oblitérer le monde, ou du moins à le réduire à un lieu plutôt qu’à une matrice (topos contre chôra) ? Faut-il penser, dans le sillage d’Augustin Berque, que « cette spatialisation a fait taire le chant du monde. [Qu’]elle en a figé le poème, en le vidant de sa poésie »? Ou bien est-ce tout à fait l’inverse, avec l’avènement de nouvelles modalités (techniques) de production de mondes possibles, lesquelles constitueraient une nouvelle façon d’habiter les flux ? Où sont les angles morts et les zones blanches des cartes ? Existent-ils encore des espaces invisibles ? Qu’est-ce qui résiste aux captures de l’ensemble du paysage informationnel ? Où réside l’in-cartographiable ? Où gît l’irréductible ?
Dans un texte, la carte qui organise les données, surgit comme une masse, un seul bloc, extrinsèque au fil du langage linéaire et pourtant porteuse de tout un raisonnement en cela analogue au diagramme mathématique. En fait, elle ne vit que de l’écriture, avec sa légende ou ses noms écrits en petit ou en très gros et qu’alors, comme le rappellent E. A. Poe, puis Lacan, on ne voit pas. Elle transgresse l’écriture, l’aveugle, la masque ou la prolonge montrant l’irréductibilité du texte à la linéarité de la voix ? Vue d’ensemble, en surplomb, la carte marque-t-elle le primat de l’optique sur l’haptique dans le vocabulaire de Deleuze et Guattari ou, au contraire, puisqu’il est toujours possible de la grossir, de ce mouvement des doigts sur l’écran, indescriptible mais si facile à exécuter, représente-t-elle la résurgence de l’haptique dans ce qui devait rester optique ? Ou alors montre-t-elle l’inadéquation de ces catégories la voix, l’écriture, l’haptique, l’optique ? Enfin, n’oublions pas, c’est d’un Empire qu’évoque Borges, la cartographie de l’Empire a une fonction politique. Les nôtres l’ont elles conservée, déformée, renversée, démocratisée en quelque sorte ? Ou pas du tout ? La cartographie des régions cérébrales a-t-elle aussi une portée politique ? La même fonction que la cartographie de l’Empire ? Ou pas du tout ?
Merci de soumettre vos propositions (500 mots maximum) ainsi qu’une brève présentation bio-bibliographique avant le 1er octobre en cliquant sur le lien suivant :
https://easychair.org/conferences/?conf=mapping2017
N’oubliez pas de téléverser vos documents au format PDF sur le site.
Les contributeurs seront informés de la décision du comité scientifique le 10 octobre 2017 au plus tard.
Pour tout autre renseignement, merci de nous contacter à l’adresse suivante : mapping@univ-paris8.fr
Les langues du colloque seront le français et l’anglais. Les contributions peuvent être proposées dans l’une ou l’autre langue accompagnées d’une brève présentation biographique de l’auteur.
Voir les dernières publications du Labex Arts-H2H.
—————————————————————————————————————–
CFP : On the Inhabitability of Cartographic Worlds
December 11, 12 & 13, 2017 — University of Paris 8, Saint-Denis, France / Archives nationales, Pierrefitte, France
This international and transdisciplinary symposium has been organized as part of the pluriannual project “Worlds, Interfaces and Environments in the Digital Era” endorsed by Labex Arts-H2H in partnership with Archives Nationales and EnsAD.
Organizers : Pierre Cassou-Noguès (Paris 8), Lucile Haute (Université de Nîmes), Arnaud Regnauld (Paris 8), François Sebbah (Paris 10), Gwenola Wagon (Paris 8)
Keynote speakers will be announced shortly.
We welcome contributions from the following fields: arts, philosophy, literature, geography, geopolitics, archivistics, neuroscience, and the history of science and technology.
Argument
“[…] the College of Cartographers evolved a Map of the Empire that was of the same Scale as the Empire and that coincided with it point for point.” The 1/1 map did not seem very practical and — as Suarez Miranda tells us, or is it Borges who transcribes the text of this otherwise unknown author — it was quickly left to « animals and beggars ». For sure, Borges did not understand that with a swift movement of one’s finger over the screen of a device that one could hold in one’s pocket and that would enable one to enter in contact with any point on the map, it would be possible to change its scale, to make it infinitely small or large, and to conjure up a whole gamut of items otherwise invisible to the naked eye: the following day’s weather forecast, the spread of the flu virus in those regions, the memories of the tourists who would have been in those cities the previous year, the most frequent routes taken by their inhabitants, their brain activity possibly together with their own idiosyncracies.
Explorers have built their dreams upon the failings of maps. Some of those failings have been the objects of cartographic quests over decades and they now fall under the realm of fiction. They have searched for the remains of Noah’s Ark, the Eldorado, Terra Australis or the canals on Mars. If explorers have spent their lives striving to map out blanks, we for one spend ours caught within cartographic modes of being that we literally feed with our data and optimize through our travels and exchanges. The time of screens has no doubt entailed a massive and extraordinarily diverse use of maps: geographic maps of all sorts of scales and uses, data visualization maps, maps of our brains. Why maps in the end? Why such a multiplication of maps on our devices? What for and to what extent do they change our ways of thinking and our sensitivity? Such multiple and various uses combine with the quest for new and innovative modes for the appropriation of cartographic data in technical, cultural, patrimonial and memory-related fields. Those who produce such maps and those who are in charge of their conservation through time, archivists namely, pursue the same quest. The latter sometimes act toward the promotion, the study and the scientific and artistic valorization of old documents, be they “beautiful” or not, abstruse or transparent, often bearing a charge that is as much symbolic and poetic as fraught with History.
Are we incorporated within the map as much as we incorporate the data contained within the map? When we bring it close to our sensory organs (eyes, skin, ears), does cartography become a second skin? Does it stand for an operable and alternative Earth whose materials computed by algorithms and sought after by companies who strive to fashion the way we represent the world are worth gallons of gold? To the extent that it would seem nothing stands outside of the map any longer. What is left of what used to be outside? What is left, then, of our relationship to concrete expanses insofar as such an endeavor consists in abstracting ourselves from the world? In other words, does a topographic approach amount to obliterating the world, or at least to reducing it to a mere locus as opposed to a matrix (topos vs. khôra)? Should we then follow Augustin Berque in thinking that “such spatialization has muted the song of the world. […] It has congealed its poem, emptying it out of its poetry?” Or is it quite the reverse with the advent of new (technical) modes of producing possible worlds, which would constitute a new way of inhabiting the flows? Where are the dead angles and the white zones located on our maps? Do invisible spaces still exist? What can resist the captures of the totality of the informational landscape? Where lies what cannot be mapped? The irreducible?
The map that organizes data in a text pops out like a solid block, extrinsic to the linear thread of language and yet pregnant with a whole reasoning process. In fact, the map lives on writing solely with its captions or its names, writ large or in tiny characters whereas we cannot see anything as E. A. Poe or Lacan remind us. The map transgresses writing, makes it blind, obfuscates or expands it by manifesting the irreducibility of text to the linearity of voice. Seen from above, does the map mark the prevalence of optics over haptics in Deleuze’s and Guattari’s words or, conversely, since it is always possible to magnify it thanks to this touch of our fingers on the screen, indescribable and yet so easy to execute, does it represent the manifestation of haptics back into what should have remained within the field of optics? Or does it prove the inadequacy of such categories as voice, writing, haptics, optics? Finally, let us not forget that Borges’ evocation is that of an empire and that the mapping out of the empire also has a political function. Have our maps retained it? Distorted it? Reverted it? Or somehow made more democratic? Or is it none of the above? Does the mapping out of areas of the brain have a political scope? Is it the same as the cartography of an Empire? Or does it have nothing to do with it?
The working languages of the symposium will be French and English. Contributions may be submitted in either language and should not exceed 500 words.
Please submit your abstracts via EasyChair (link below) as well as a brief bio-bibliographical note before October 1st, 2017.
https://easychair.org/conferences/?conf=mapping2017
Do not forget to upload your abstract in PDF format (no more than 500 words).
For further information, you may write to mapping@univ-paris8.fr
Check out the Labex Arts-H2H’s latest publications.