LE SENS DES FORMES DANS L’EUROPE D’ANCIEN RÉGIME :
EXPRESSIONS ET INSTRUMENTS DU POLITIQUE
jeudi 27 et vendredi 28 juin 2019
Université Paris-Est Créteil / Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3
Les arts d’Ancien Régime étaient souvent des arts de circonstance, au discours contraint, sans que ce constat doive entraîner un quelconque jugement de valeur esthétique, en ce que ces arts prennent leur sens plein dans un contexte social dont le jeu politique n’est jamais complètement absent. À la cour en particulier, toute activité avait nécessairement un volet politique, jusqu’aux plus intimes – comme la nuit de noces célébrée devant témoins lors de certains mariages royaux. Il ne pouvait en aller autrement pour les pratiques artistiques auxquelles s’adonnaient autant les courtisans que les souverains, notamment la poésie, la musique et la danse : on pense aux ballets dansés par Louis XIV en France et aux masques donnés à grands frais à la cour d’Angleterre, mais aussi à l’importance accordée à ces trois pratiques dans Il Cortegiano de Castiglione, pour qui elles sont indispensables au gentilhomme. Le poète, le musicien, le danseur courtisans sont donc bien éloignés de l’image que le Romantisme nous a laissée de l’artiste bohème, maudit ou méconnu, rebelle aux conventions de la société bourgeoise et, contrairement à elle, sincère. Ce critère de sincérité, établi par un Jean-Jacques Rousseau qui opposait la langue du cœur à l’hypocrisie de la société, est devenu, et pour longtemps, le principe fondateur de l’expression artistique – reléguant par là-même toute œuvre composée pour répondre à des circonstances extérieures au rang de la médiocrité. C’est lui qui nous fait associer étroitement l’art à la sphère privée voire intime, et c’est souvent à son prisme que nous considérons les œuvres du passé, et en particulier celles de la Renaissance, au risque du contre-sens.
Pourtant, de nombreux indices invitent à reconsidérer la littérature de la première modernité dans le cadre social et idéologique qui était le sien et à aborder les choix esthétiques non plus seulement comme l’expression de préférences personnelles mais également comme celle d’un projet lié au groupe auquel le poète se rattache, et donc à les analyser dans un contexte qui prend en compte, par exemple, les rapports de force entre différentes factions courtisanes. En dehors de la cour, d’autres pratiques artistiques sont tout aussi étroitement liées à l’action politique : on pense bien entendu aux campagnes de libelles et autres mazarinades, mais aussi à l’emblématique ou à la poésie spirituelle, en particulier lorsqu’un procès en canonisation est l’occasion d’affirmer la puissance d’un État, d’un lignage ou d’une ville – ainsi, des joutes poétiques en l’honneur de Thérèse d’Avila.
Nous nous proposons donc d’examiner le lien entre le politique et les arts en prêtant une attention redoublée au contexte d’énonciation ou de performance des œuvres, afin de faire apparaître la dimension politique des choix esthétiques même en l’absence de contenus explicitement politiques. Plus précisément, nous nous intéresserons à la façon dont les formes elles-mêmes, qu’elles soient linguistiques, génériques, métriques, matérielles, visuelles ou sonores, expriment le politique, dans toute sa complexité – puisque même les formes destinées à la flatterie peuvent instiller le conseil, la critique, ou la négociation subtile de rapports de pouvoir. Ce colloque pourrait être enfin l’occasion d’interroger la notion même de forme dans les différents champs disciplinaires et selon les usages ou les contextes où elles sont observées.
On pourra étudier, entre autres :
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les divertissements officiels, tels les ballets de cour, les “entrées” de personnages publics, les masques et cérémonies civiques
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les genres littéraires, qu’ils soient évidemment liés au politique, comme le pamphlet, ou en semblent faussement détachés, comme la pastorale – et les milieux dans lesquels ces formes sont partagées ou débattues
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les formes métriques, qui font parfois référence à des cultures concurrentes (renvoi à un idéal classique ou à la culture vernaculaire d’un pays voisin) et impliquent un jeu d’influence, de rivalité ou d’émulation dans la construction des identités nationales ou de l’identité d’un groupe par rapport à un autre
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les paratextes, qui tâchent de négocier la réception d’une œuvre à travers une série de dédicaces à des personnages importants, épîtres au lecteur, et poèmes à la louange de l’auteur rédigés par ses collègues et amis – et parfois articulent avec difficulté ces pièces d’occasion qui peuvent s’avérer politiquement contradictoires
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les supports matériels choisis pour la diffusion de tel ou tel texte, comme le format de publication, la mise en page ou la fonte, l’histoire du livre et la material culture étant deux disciplines qui s’attachent depuis longtemps aux “sens des formes” dans ce que celles-ci ont de plus concret
Ce colloque réunira des spécialistes de l’Europe et de ses possessions extra-européennes du 15e au 18e siècle, dans une perspective comparatiste et résolument interdisciplinaire.
Conférence plénière
Nigel SMITH (Princeton University)
Comité scientifique
Mercedes BLANCO (Sorbonne Université), Fernando BOUZA (Universidad Complutense Madrid), Paloma BRAVO (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3), Camilla CAVICCHI (Centre d’Études Supérieures de la Renaissance), Charlotte COFFIN (Université Paris-Est Créteil), Line COTTEGNIES (Sorbonne Université), Séverine DELAHAYE-GRÉLOIS (Université Paris-Est Créteil), Jean-Louis FOURNEL (Université Paris 8 Vincennes-Saint Denis / Institut Universitaire de France), Sagrario LÓPEZ POZA (Universidad de La Coruña), Karen NEWMAN (Brown University), Bruno PETEY-GIRARD (Université Paris-Est Créteil), Matteo RESIDORI (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3), Elisabeth ROTHMUND (Université Paris-Est Créteil), Jessica WOLFE (University of North Carolina at Chapel Hill).
Comité d’organisation
Paloma BRAVO (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, CRES-LECEMO), Charlotte COFFIN (Université Paris-Est Créteil, TIES-IMAGER), Séverine DELAHAYE-GRÉLOIS (Université Paris-Est Créteil, CREER-IMAGER).
Ce colloque est une collaboration des équipes IMAGER (Institut des Mondes Anglophone, Germanique et Roman) et CRES-LECEMO (Centre de Recherche sur l’Espagne des XVIe et XVIIe Siècles – Les Cultures de l’Europe Méditerranéenne Occidentale).
Soumission
Les propositions (titre, résumé de 300 mots et notice biographique de 150 mots) sont à envoyer avant le 15 septembre 2018 à : lesensdesformes@gmail.com
Call for Papers
THE POLITICS OF FORM IN EARLY MODERN EUROPE
June 27-28, 2019
Université Paris-Est Créteil / Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3
Many early modern literary and artistic works were produced for specific social and political events which inflected their form and content. Attention to contexts of production and performance is essential for understanding these works, which, nevertheless, also arose out of formal and aesthetic decisions. Any courtly activity necessarily had political implications, right down to the most intimate actions — such as the public celebration of the wedding night for some royal couples. Courtiers and rulers indulged in a number of artistic pursuits to which they brought their own agendas. Examples include Louis XIV’s participation in French court ballets, lavish masques at the English courts of James I and Charles I, and Castiglione’s emphasis, in Il Cortegiano, on poetry, music and dance as indispensable skills for a gentleman. The lives of courtier poets, musicians and dancers thus differed greatly from the images of bohemian artists, unrecognized geniuses and poètes maudits devised by the Romantics. Such images stress the artists’ genuineness and their defiance of bourgeois conventions. The criterion of sincerity — established by Jean-Jacques Rousseau, who set the “language of the heart” in opposition to social hypocrisy — became a central tenet of artistic expression, relegating works produced for particular events to the rank of mediocrity. Thus we often associate poetry with the private rather than public sphere, and continue to use the criterion of sincerity to evaluate past works, particularly early modern productions, despite the risk of misunderstanding them.
Nevertheless, there are many reasons to consider works produced for particular occasions within the social and ideological contexts in which they were created, and to approach aesthetic choices not only as the result of personal preferences but also as the expression of collective projects which may have been driven by political rivalries or alliances. Outside the court, literary pursuits were also connected with politics: pamphlets and various pieces of satirical verse come to mind, but so do emblems and even religious poetry — in Catholic Europe, the canonization process was an opportunity to demonstrate the power of a particular state, city or family; thus poets competed in their celebrations of Teresa of Avila.
This conference proposes to re-examine the relationship between the arts (broadly construed to include literature and the visual and performing arts) and politics, paying special attention to the original contexts in which works were produced or performed so that the political implications of aesthetic choices may become clearer. We shall focus, in particular, on the way forms (be they linguistic, generic, metrical, material, visual or musical) might carry complex political meanings — for even forms that are clearly designed to flatter the sovereign are able to suggest advice, criticism or subtle negotiation. This conference will also be an opportunity to interrogate the very notion of form across disciplines.
Proposals might focus on:
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official entertainments such as court ballets, royal entries, masques and civic ceremonies
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literary genres — whether they were clearly connected with politics (like pamphlets) or seemingly detached from them (like pastorals) — and the circles in which they were shared or debated
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metrical forms, which sometimes refer to other models (like classical ideals or the vernacular culture of a neighbouring country) and involve a network of influences, rivalries and imitations affecting the construction of national and group identities
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paratexts, which negotiate the reception of a particular text through dedications to important figures, letters “to the reader”, and poems in praise of the author written by colleagues and friends; these occasional pieces sometimes conveyed contradictory politics
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material culture and history of the book, to the extent that material objects and book formats were also forms that could carry political meaning independently of or concurrently with the stated content
The conference will gather specialists of Europe and its overseas territories from the fifteenth to the eighteenth centuries. Comparative and interdisciplinary approaches are especially welcome.
Keynote Speaker
Nigel SMITH (Princeton University)
Scholarly Committee
Papers will be selected by a scholarly committee composed of Mercedes BLANCO (Sorbonne Université), Fernando BOUZA (Universidad Complutense Madrid), Paloma BRAVO (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3), Camilla CAVICCHI (Centre d’Études Supérieures de la Renaissance), Charlotte COFFIN (Université Paris-Est Créteil), Line COTTEGNIES (Sorbonne Université), Séverine DELAHAYE-GRÉLOIS (Université Paris-Est Créteil), Jean-Louis FOURNEL (Université Paris 8 Vincennes-Saint Denis / Institut Universitaire de France), Sagrario LÓPEZ POZA (Universidad de La Coruña), Karen NEWMAN (Brown University), Bruno PETEY-GIRARD (Université Paris-Est Créteil), Matteo RESIDORI (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3), Elisabeth ROTHMUND (Université Paris-Est Créteil), Jessica WOLFE (University of North Carolina at Chapel Hill).
Organization Committee
Paloma BRAVO (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, CRES-LECEMO), Charlotte COFFIN (Université Paris-Est Créteil, TIES-IMAGER), Séverine DELAHAYE-GRÉLOIS (Université Paris-Est Créteil, CREER-IMAGER).
This conference is co-organized by IMAGER (Institut des Mondes Anglophone, Germanique et Roman) and CRES-LECEMO (Centre de Recherche sur l’Espagne des XVIe et XVIIe Siècles – Les Cultures de l’Europe Méditerranéenne Occidentale).
Submissions
Proposals comprising paper title, abstract (300 words max) and brief biography (150 words max) should be sent by September 15, 2018 to: lesensdesformes@gmail.com