Congrès annuel de la Société Française Shakespeare « Shakespeare et le dialogue des disciplines » 11-13 mars 2021 Fondation Deutsch de la Meurthe, Paris

Congrès annuel de la Société Française Shakespeare
« Shakespeare et le dialogue des disciplines »
11-13 mars 2021 Fondation Deutsch de la Meurthe, Paris
Dans un grand élan hyperbolique, Harold Bloom, dont les analyses sont
aujourd’hui tenues en suspicion par une critique littéraire largement
acquise aux approches historicistes, affirmait que Shakespeare avait
inventé l’humain (The Invention of the Human, 1999). Pourtant, il
semblerait plutôt que Shakespeare ait été inventé par l’humain, chaque
époque réinventant à son gré son Shakespeare, chaque critique,
biographe, ou auteur qui se réclame de lui révélant par son entremise
les préoccupations de son temps, sinon les siennes propres. Sous
prétexte de son universalisme, Shakespeare est érigé comme le plus
beau miroir de chaque personne humaine et de sa condition, mais aussi
de chacune de nos sciences, apportant aux savoirs des uns et des
autres un peu de chair, un peu de corps, un peu de chatoiement et
d’aura, voire de prophétisme. Dans une de ses conférences, Emmanuel
Levinas va jusqu’à dire, « Il me semble parfois que toute la
philosophie n’est qu’une méditation de Shakespeare » (Le Temps et
L’autre, 1947, p.60), comme si la philosophie avait besoin de cette
source extra-disciplinaire.
  Au XIXe siècle, Thomas Carlyle fait de l’œuvre shakespearienne
l’occasion d’une discussion politique sur l’impérialisme dans son
ouvrage Les Héros, le culte des héros et l’héroïque dans l’histoire
(1841). Avant lui, la réception romantique du dramaturge, notamment en
Allemagne, avait ouvert la voie pour faire de son théâtre un objet
philosophique, aussi bien chez Schiller que chez Hegel. Par la suite,
Shakespeare est sans cesse présent dans le débat sur l’esthétique :
lorsque, dans ses Causeries du lundi (1850), Sainte-Beuve se demande
ce qu’est un classique, il érige le poète anglais—en compagnie de
Dante—en « autorité primitive » de ce classicisme, alors que les
Romantiques français en avaient fait le poète des passions humaines et
Victor Hugo le fer de lance d’une bataille en faveur du sublime et du
grotesque. Avec Freud, puis Lacan, Shakespeare est aussi devenu un
objet psychanalytique. Les juristes américains y puisent encore
aujourd’hui jusqu’à leur rhétorique et leur méthode, et de nombreux
chercheurs s’intéressent à la place de Shakespeare dans le droit
américain, depuis son apprentissage à l’université jusqu’aux arrêts de
la Cour Suprême, suggérant que la connaissance de son œuvre aurait une
incidence sur le contenu et l’étendue de cette discipline. Selon
d’autres, il nous enseigne aussi la théologie, la musique, les arts
martiaux… Aujourd’hui des thèses d’histoire ou de philosophie se
soutiennent en France sur Shakespeare, comme si l’œuvre de ce poète—et
la sienne plus qu’aucune autre—nourrissait ces mêmes disciplines,
voire les légitimait.
Quel metteur en scène, alors que Shakespeare est désormais le
dramaturge le plus joué en France, bien plus que Molière, prétendrait
le porter à nouveau à la scène dans le simple but de divertir son
public ou d’en exposer une simple réalité historique d’ailleurs tombée
en désuétude ? À la scène aussi bien que dans les milieux académiques,
Shakespeare est politique, Shakespeare est psychologique, Shakespeare
est psychanalytique, Shakespeare est esthétique, Shakespeare est
pédagogique. Lorsque Peter Brook adapte pour le théâtre L’Homme qui
prenait sa femme pour un chapeau d’Oliver Sacks, il compare l’œuvre de
Shakespeare à la neurologie, car elle permet, dit-il, « de révéler
l’invisible ». Le discours artistique de la mise en scène se rattache
de fait à la question des disciplines, et se pose aussi en terme de
légitimation : quel discours est-il légitime de tenir sur Shakespeare
et sur son œuvre, en tant que metteur en scène ou en tant que
chercheur ?
    La liberté de penser qu’accorde une œuvre que l’on peut s’approprier,
transformer, retravailler, ré-imaginer, réécrire ou réviser permet aux
disciplines de s’octroyer Shakespeare, comme un privilège ou une
liberté du discours, et pourquoi pas, d’en faire le fondement d’une
méthodologie. C’est dans cet esprit d’affranchissement par rapport à
une œuvre parfois trop confinée dans un discours strictement
littéraire qui se veut « le gardien du temple » que nous aimerions
envisager Shakespeare, dans ce nouveau congrès de la Société Française
Shakespeare : non pas comme un prétexte, un peu comme un sujet, mais
surtout comme un objet de recherche et un moyen de penser. Nous
voudrions enquêter sur la malléabilité de l’objet Shakespeare et la
possibilité d’une appropriation dans le contexte d’une réflexion sur
les disciplines, les faisant dialoguer afin de cerner cet objet
Shakespeare. Ce qui nous intéresse d’abord, c’est la manière dont
Shakespeare nous fait penser et ce que nous en faisons au sein de nos
disciplines, quelles qu’elles soient, et ce qu’il leur apporte.
La Société Française Shakespeare semble être le lieu idéal pour un tel
questionnement, dont nous aimerions qu’il soit aussi l’occasion d’un
dialogue entre toutes ces disciplines « shakespeariennes » : sciences,
sciences politiques, histoire, philosophie, droit, études théâtrales,
cinématographiques, chorégraphiques, musicologie, arts visuels…ainsi
que les « nouvelles » disciplines, transdisciplinaires, comme les
études de genre. Les sciences humaines et sociales peuvent-elles aussi
« faire pensée » de Shakespeare et faire penser avec Shakespeare ?
Enfin, tentons de penser ou de repenser la littérature des XVIe et
XVIIe siècles en faisant dialoguer les disciplines littéraires de
différents pays qui ont souvent leurs propres traditions et approches
critiques : études comparées, études littéraires et histoire de la
littérature, études anglophones, études germanophones, études
hispaniques…telles qu’elles se pratiquent ici, en Grande-Bretagne, ou
ailleurs, comment se nourrissent-elles aussi de cet objet Shakespeare
? Shakespeare peut-il, en définitive, faire l’objet de ce partage
entre disciplines ?
    Merci de faire parvenir pour le 1er septembre 2020 votre proposition
de communication (titre de la communication, mots-clés et résumé d’une
dizaine de lignes) accompagnée d’une courte notice biobibliographique,
  à l’adresse suivante [congres2021@societefrancaiseshakespeare.org].
    Les réponses seront données le 30 septembre 2020.
    Les communications seront d’une durée de 20 minutes.
Comité d’organisation : le bureau de la Société Française Shakespeare
Comité scientifique :
Gilles Bertheau (Université de Tours)
Line Cottegnies (Sorbonne Université)
Pascale Drouet (Université de Poitiers)
Louise Fang (École Polytechnique)
Dominique Goy-Blanquet (Université de Picardie)
Claire Guéron (Université de Bourgogne)
Ronan Ludot-Vlasak (Université de Lille)
François Laroque (Université Sorbonne Nouvelle)
Anne-Marie Miller-Blaise (Université Sorbonne Nouvelle)
Mickaël Popelard (Université de Caen Basse-Normandie)
Catherine Treihlou-Balaudé (Université Sorbonne Nouvelle)
Emma Smith (Hertford College, University of Oxford)
Christine Sukic (Université de Reims Champagne-Ardenne)
Gisèle Venet (Université Sorbonne Nouvelle)
Annual Congress of the French Shakespeare Society
“Shakespeare Across the Disciplines”
March 11-13, 2021 Fondation Deutsch de la Meurthe, Cité Internationale, Paris 14e
Harold Bloom once hyperbolically claimed that Shakespeare had invented
the human (The Invention of the Human, 1999). Yet it would seem that
it is, rather, the human that invented Shakespeare, each era
reinventing its own Shakespeare: each critic, biographer, or author
claiming to reveal through the poet the concerns of his or her time,
if not his or her own. Because he is thought to be universal,
Shakespeare is seen to hold up a mirror to each and every individual,
better, to humanity at large and to each and every field of human
knowledge. Shakespeare gives these fields of knowledge flesh and
substance. He makes them shimmer and glow, and tinges them with a
sense of prophetism. In one of his lectures, Emmanuel Levinas went as
far as to claim, “It sometimes seems to me that all philosophy is just
a meditation on Shakespeare” (Le Temps et l’autre, 1947, p. 60), as if
philosophy had to reach out beyond its own scope to find more depth.
In the nineteenth century, Thomas Carlyle used Shakespeare’s works as
a pretext for a political discussion of imperialism in On Heroes,
Hero-Worship, and The Heroic in History (1841). Before him, the
Romantics’ reception of Shakespeare, especially in Germany, had paved
the way for a philosophical perspective on his drama, for Schiller as
well as for Hegel. Ever since, Shakespeare has constantly been
summoned in any debate on aesthetics: attempting to define classicism
in his Causeries du lundi (1850), Sainte-Beuve cited the English
poet—along with Dante—as the “primitive authority,” while for the
French Romantics he was the poet of human passions. For Victor Hugo,
Shakespeare became, on the contrary, the driving force of the battle
fought in favour of the sublime and the grotesque against French
classicism. With Freud, then Lacan, Shakespeare also became ideal
material for psychoanalysis. To this day, American lawyers use his
plays as handbooks in rhetoric. Scholars have gone so far as to focus
on Shakespeare’s importance in shaping aspects of American law,
studying not only his place in law school curricula, but also in
Supreme Court rulings, as if his works could actually affect the
contents and scope of law, as a discipline and a practice. For others,
Shakespeare instructs us in theology, music, or martial arts… Today,
PhDs in history or philosophy based on Shakespeare are being carried
out in France, as if the works of this poet, more than any other,
could authorize these fields in a special way.
Shakespeare is now the most widely performed playwright in France—much
more than Molière. These stagings come with claims: what director
would hazard bringing him back to the stage with the simple aim of
entertaining an audience, or testifying to a historical dramatic
reality that today’s spectators care little about? On stage as well as
in academic circles, Shakespeare is political, Shakespeare is
psychological, Shakespeare is psychoanalytical, Shakespeare is
aesthetic, Shakespeare is pedagogical. When Peter Brook adapted Oliver
Sacks’ The Man Who Mistook His Wife for a Hat for the stage, he
compared Shakespeare’s work to neurology, because it allows, he said,
“to reveal the invisible.” Such views on stage direction are in fact
deeply linked to the question of the disciplines for they can be
understood in terms of legitimation: what discourse is it politically
and socially acceptable to hold about Shakespeare and his works as a
director or as a scholar?
    Shakespeare’s works give us freedom of thought: they can be
re-written, revised, or re-imagined. Within each discipline it seems
that Shakespeare is appropriated, precisely because he gives those who
promote his works free rein in relation to pre-existing theoretical
discourses, and that he can be used as the foundation of new
methodologies or approaches. For the 2021 Congress of the Société
Française Shakespeare, we would like to envisage Shakespeare according
to that self-same spirit of emancipation, looking at his work as
exceeding the confines of a strict historicist and literary discourse
which tends to present itself as the keeper of a sacred shrine. Our
aim, however, is not to turn Shakespeare into a mere pretext for
engaging in a conversation across the fields. Shakespeare is more than
a common ground or a shared subject. We want to think of him as an
open object of study and, more importantly yet, as opening modes of
thinking. We would like to investigate the fundamental malleability of
“Shakespeare” as an object, and the possibility of appropriating this
object in the context of a reflection on the disciplines. What does
Shakespeare allow us to do within our disciplines and what benefit do
they derive from this Shakespearean investigation and appropriation?
The annual congress of the Société Française Shakespeare is the ideal
place for such a questioning. We would like the congress to be the
occasion for a dialogue between all of these “Shakespearean”
disciplines: science, political science, history, philosophy, law,
theatre studies, film studies, choreography, musicology, visual
culture…as well as new, transdisciplinary fields of research, such
as gender studies or other studies. Can the humanities and social
sciences think with and through Shakespeare?
Finally, by bringing together different traditions of literary
criticism, we would also like to try and reconsider the literature of
the sixteenth and seventeenth centuries, through a variety of critical
approaches: comparative studies, literary studies and the history of
literature, English-language studies, German-language studies,
Hispanic studies…as they are practised in France, in Britain, or
elsewhere. Are they also affected and influenced by this malleable
object called “Shakespeare”?
Please send your paper proposal (paper title, keywords and a ten-line
abstract) by 1 September 2020, together with a short
bio-bibliographical note, to the following address
[congres2021@societefrancaiseshakespeare.org].
Answers will be given on 30 September 2020.
Papers will be 20 minutes long.
Organizing Committee: Board of the Société Française Shakespeare
Scientific Committee:
Gilles Bertheau (Université de Tours)
Line Cottegnies (Sorbonne Université)
Pascale Drouet (Université de Poitiers)
Louise Fang (École Polytechnique)
Dominique Goy-Blanquet (Université de Picardie)
Claire Guéron (Université de Bourgogne)
Ronan Ludot-Vlasak (Université de Lille)
François Laroque (Université Sorbonne Nouvelle)
Anne-Marie Miller-Blaise (Université Sorbonne Nouvelle)
Mickaël Popelard (Université de Caen Basse-Normandie)
Catherine Treihlou-Balaudé (Université Sorbonne Nouvelle)
Emma Smith (Hertford College, University of Oxford)
Christine Sukic (Université de Reims Champagne-Ardenne)
Gisèle Venet (Université Sorbonne Nouvelle)

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