Communiqué COSSAF : « De l’importance pour les tutelles de défendre la liberté académique »

Che·res collègues,

La SAES est signataire du communiqué suivant, publié par le collège des sociétés savantes académiques de France. Le document, issu d ’un processus d’écriture collective et de vote des membres, souhaite attirer l’attention des tutelles de l’enseignement supérieur et de la recherche (Universités, organismes de recherche et grands établissements, ministères) sur l’importance de défendre la liberté académique, « la liberté de penser et d’enseigner sous l’égide de l’État mais en toute indépendance », dans un contexte d’attaques croissantes en France et dans le monde.

Vous trouverez le texte complet ci-dessous ainsi qu’à la page suivante.

Le Collège des Sociétés Savantes académiques de France souligne l’importance de défendre la liberté académique dans un contexte d’attaques croissantes sur cette dernière : entraves à la liberté de chercher, campagnes de presse hostiles, censure, conférences à charge ou projets de commissions d’enquêtes, procès et intimidations – sans compter une dégradation des conditions de travail des chercheurs et chercheuses qui peuvent elles-mêmes porter atteinte à la liberté académique.

Ce constat de la mise en cause de la liberté académique n’est pas limité à la France, et semble s’inscrire dans un mouvement général et multiforme qui menace les communautés universitaires et de recherche. Parce que les résultats et théories scientifiques peuvent contredire le fondement de certaines idées et choix politiques, la tentation de la censure des chercheuses et chercheurs par les pouvoirs politiques a toujours été présente – comme les entraves à l’exercice de leurs missions. Nombre de forces politiques, qu’elles aient accédé au pouvoir ou non, peuvent s’avérer hostiles à la diffusion de certains résultats dans la société – quand elles ne reprochent pas aux universités d’abriter de mauvaises façons de penser.

À ces nouveaux procès galiléens s’ajoutent des formes bureaucratiques de pilotage de la recherche qui entravent l’inventivité et la capacité de recherche des chercheurs et chercheuses – lorsque le financement se concentre sur certaines questions, il est plus difficile d’en explorer d’autres. Par ailleurs, le développement de procédures bâillons3, initiées par des puissants acteurs économiques, aggrave un processus de judiciarisation sur lequel le Collège avait déjà alerté.

Ce sont ainsi aujourd’hui des pans entiers de recherches (biologie, toxicologie, sciences humaines et sociales, droit de l’environnement, histoire, sciences de l’environnement et du climat…) dans lesquels les chercheurs et chercheuses voient leurs résultats (quand ces derniers ont pu être produits) attaqués ou mis en doute d’une façon qui ne relève plus de la controverse réglée entre pairs, mais bien du déni et de l’hostilité à la production de connaissance.

C’est dans ce contexte qu’il importe de rappeler le caractère fondamental de la liberté académique, et ce qu’elle recouvre. La liberté académique « est la condition d’exercice du métier d’universitaire » et s’entend comme « la liberté de penser et d’enseigner sous l’égide de l’État mais en toute indépendance ». La liberté académique et la liberté d’expression ne s’équivalent pas : rien ici d’une défense corporatiste du droit à s’exprimer sans responsabilité – la liberté académique ne dispense pas de répondre de ses actes. En revanche, la liberté académique est intimement liée à la production de connaissance par les chercheuses et chercheurs dans un cadre éthique et déontologique bien défini. La mettre en cause, c’est mettre en cause la possibilité que les connaissances produites par les sciences puissent utilement revenir à la société, notamment pour plus de justice sociale.

La liberté académique recouvre le droit des chercheurs et des chercheuses à travailler sur les questions qui leur semblent pertinentes, quand bien même elles n’apparaîtraient pas prioritaires pour le grand public ou pour les instances d’orientation de la recherche (la pandémie de Covid 19 a récemment confirmé que certaines recherches auraient mérité d’être soutenues alors qu’elles ne semblaient pas prioritaires quelques années auparavant). Cette liberté académique recouvre aussi en sciences humaines et sociales le droit d’enquêter sans être entravé, mis en danger ou en situation de trahir ses enquêtés en divulguant certaines données personnelles, comme y pousse parfois l’application rigidement bureaucratique des protocoles de gestion des données.

Elle suppose de pouvoir écrire, publier, et exposer publiquement, en amphithéâtre ou dans l’espace public, ses résultats, sans menace ni censure, sans pression à publier trop vite des résultats encore incertains, et avec la possibilité d’être protégé par l’État. Il y a de ce point de vue une contradiction problématique entre l’injonction accrue faite aux chercheuses et chercheurs de vulgariser et de développer l’impact social de leurs travaux, et les campagnes d’intimidation que certaines et certains subissent quand leurs résultats ne vont pas dans le sens attendu.

Bien que la liberté académique soit un droit fondamental et fonctionnel essentiel à la pratique professionnelle et au débat démocratique, elle ne bénéficie pas des mêmes garanties que celles accordées aux journalistes pour la protection du secret des sources, ou aux juges avec l’indépendance des magistrats du siège. Ainsi, si le principe de l’indépendance des enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheuses est garanti par les décisions du Conseil constitutionnel de 1984 et 2010, ce n’est pas le cas de celle de leurs collègues titulaires du CNRS et des autres organismes de recherche, ou des jeunes chercheurs et chercheuses sous contrat, qui s’avèrent les plus vulnérables aux pressions. Enfin, la protection fonctionnelle assurée à tous les agents de l’État tarde parfois à être activée pour soutenir des scientifiques menacés.

La liberté académique est une condition nécessaire à la production non biaisée de connaissances. Le Collège des sociétés savantes académiques de France appelle instamment les tutelles de la recherche publique (ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, universités et organismes de recherche) à mettre en œuvre tous les moyens à leur disposition, y compris les moyens juridiques, pour la protéger.

Rennes, le 17 octobre 2024


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