Journée de doctorants : Corps en crise, crise(s) du corps
Reims, UFR Lettres et Sciences Humaines, le mardi 4 avril 2017
« À l’expérience de l’homme, un corps est donné qui est son propre corps – fragment d’espace ambigu, dont la spatialité propre et irréductible s’articule cependant sur l’espace des choses »
Michel Foucault, Les Mots et les Choses, rééd. Paris: Gallimard, coll. « Tel », 1990, p. 325.
Dans un monde médiatisé et obsédé par son rapport à l’image, le corps devient à son tour vecteur de jeux de regards et de jugements. Prisme par lequel l’on s’interroge sur l’après-coup des conflits (« quelle incarnation d’une Irlande post-Troubles ? » se demande la revue Etudes Irlandaises en 2016), sur l’identité individuelle mais aussi collective (voir la nudité revendiquée des Femen, où le corps est à la fois site de contestation et toile sur laquelle on imprime, littéralement, ses idées). Il est plus que jamais au cœur des préoccupations contemporaines puisqu’il est exacerbé, focalisé, diffusé, non plus seulement par les réseaux médiatiques traditionnels, où il peut encore être l’objet de censure, mais également par les nouveaux médias, où les corps célèbres ou anonymes foisonnent, se fragmentent et s’exposent à la vue de chacun hors de tout contrôle institutionnel (mèmes, sexting, piratage ou diffusion non autorisée de photographies intimes, diffusions d’images d’attentats ou d’exécutions, etc.).
Site de conflits, il se pose en objet contentieux, manifeste d’une lutte pour les droits individuels : si les Polonaises viennent d’obtenir le droit de jouir de leur corps et de conserver l’accès à l’avortement, les Irlandaises, aussi bien dans le nord que dans le sud de l’île, vivent dans une société où le corps des femmes continue d’être contrôlé (blanchisseries Madeleine, Ann Lovett, Savita Halappanavar). Moins politique, mais tout aussi polémique, le corps féminin surmédiatisé, surexposé et surtout hypersexualisé est au cœur d’un débat qui ne cesse de revenir dans l’actualité, naviguant entre la maigreur presque mortifère des mannequins de la haute couture et l’utopie néfaste du corps parfait des photos retouchées.
Le corps est donc un site de crise(s). Espace transitionnel, la littérature et la culture populaire l’ont de nombreuses fois peint dans des processus de transformations : normatisation, vieillissement, déconstruction, anthropomorphisme, déshumanisation. Corps mutilé des blessés de guerre, des réfugiés réduits à une individualité en souffrance ou au contraire à une collectivité menaçante. Corps reconfigurés dans les gender studies / queer studies / Black studies / théories féministes où s’opposent visions essentialistes du sexe biologique et perspectives fluides dans la lignée de Butler pour qui le genre, et au-delà même, le corps, sont des constructions culturelles.
La double articulation genre sémiotique / genre biologique que nous permet l’homonymie inscrit par ailleurs le corps dans une problématique de représentation et d’accessibilité : chaque langage artistique a-t-il ses propres codes, ses propres clefs pour représenter le corps ? Certaines tendances semblent émerger de façon transdisciplinaire – ainsi, le corps grotesque de Mikhaïl Bakhtine s’affranchit du corpus littéraire moderne pour s’implanter dans d’autres médias, des musiques populaires transgressives aux cultures télévisuelles actuelles, jusque dans l’imagerie gothique du XIXème siècle.
« [L]e corps grotesque est un corps en mouvement. Il n’est jamais prêt ni achevé : il est toujours en état de construction, de création et lui-même construit un autre corps ; de plus, ce corps absorbe le monde et est absorbé par ce dernier. »
Mikhaïl Bakhtine, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, trad. Andrée Robel. Paris: Gallimard, 1970, p. 315.
Cette constante re-création, re-construction, voire incomplétude nous permettra de situer cette journée d’étude au carrefour de multiples disciplines, périodes, perspectives. Témoin d’une certaine crise épistémologique dans la représentation même de ce corps, le doctorant actuel pourra s’inscrire dans une postmodernité marquée par la remise en cause de nombreux discours (incarnée notamment par le post-colonialisme, le post-féminisme, l’écocritique, etc…) et de leurs clivages parfois considérés comme désuets (l’opposition canon littéraire et œuvres de la marge par exemple). Cette journée de réflexion ne saura cependant se limiter au post-modernisme et s’appliquera à étendre sa lecture du corps à une approche tant diachronique que synchronique des différents systèmes de représentation et de leurs moments de passages.
Modalités de soumission :
– La journée est ouverte aux doctorant-e-s et jeunes docteur-e-s
– Une proposition de 350 mots accompagnée d’une courte bibliographie.
– Date limite de soumission : le 15 janvier 2017
– Adresses d’envoi : Marine Galiné (marinegaline@hotmail.fr) et Tim Heron (tim.a.heron@gmail.com)
– Langues des résumés et des communications : français ou anglais
– Durée des communications : 20 minutes