jeudi 3 et vendredi 4 novembre 2016, Université de Rouen, « Écritures déliées »

Appel à communications pour un Colloque international,
« Écritures déliées »
Université de Rouen, jeudi 3 et vendredi 4 novembre 2016, Maison de l’université
 
(scroll down for the English version)
 
Le texte littéraire, à l’évidence, n’entretient pas envers le monde un simple rapport de représentation – un énoncé qu’il convient aussitôt de corriger, la représentation n’étant jamais simple. Certains auteurs voient dans l’écriture l’occasion non pas de s’emparer du monde ou de le raconter mais plutôt de créer des mondes autonomes, bien que toujours influencés peu ou prou par leur environnement concret, proche ou lointain. Se lançant dans l’exploration de territoires esthétiques et émotionnels encore vierges, non cartographiés par la littérature, ils doivent inventer de nouveaux langages pour rendre compte d’expériences et d’états inédits. C’est le cas par exemple de Ben Marcus, Christine Schutt, Gary Lutz, Rob Stephenson, Blake Butler, Guy Davenport, Laird Hunt ou Percival Everett, et de manière moins ostensible, de Thomas Pynchon, Don DeLillo, Karen Tei Yamashita ou encore Steve Tomasula.
Pour l’auteur comme le lecteur, l’expérience est avant tout langagière : le texte semble parfois se générer lui-même, au fil de phénomènes de ressemblance, de parenté ou de filiation, au point de ne plus paraître faire référence qu’à du texte, qu’il s’agisse d’autres œuvres de l’histoire littéraire, d’autres textes du même auteur, ou d’autres passages du même texte. La matérialité de la langue se fait jour, sous forme d’effets rythmiques et sonores ou encore visuels d’un texte devenu milieu vivant plus que matériau ou simple instrument subordonné à la pensée. L’effet produit sur le lecteur, d’étrangeté, d’obscurité voire d’hermétisme, s’il semble de prime abord négatif, est en fait gage d’enrichissement de la langue.
L’analyse pourra se concentrer sur la nature des mutations subies par la langue, ainsi que sur les modalités selon lesquelles le texte fait sens malgré tout. Comment le lecteur peut-il s’approprier le « reste » théorisé par Jean-Jacques Lecercle, et trouver du sens dans le message en apparence insensé ? Dans l’étude des rapports entre sens et non-sens, on pourra s’inspirer notamment des travaux de Gilles Deleuze, et poser la question de la description de « ce qui excède le langage et néanmoins n’appelle pas une démission dans ‘l’ineffable’, l’‘indicible’, l’‘indescriptible’, l’‘intraduisible’, le ‘mystère’ en somme. » (Laplantine, 2009, page 9). De temps à autres, au lieu de s’isoler du lecteur, l’écriture déliée est finalement la plus à même de nouer un lien profond avec ce dernier, par sa capacité à faire émerger, resurgir ou résonner émotions et expériences esthétiques enfouies ou insoupçonnées, et soudain rendues étrangement familières, comme un (faux) déjà-vu.
Aussi l’écriture déliée appelle-t-elle une lecture « dé-liante », selon des modalités rappelant celles de l’écoute psychanalytique. Selon André Green, cette lecture « suit les fils du texte […] mais en refusant le fil d’Ariane que le texte propose au lecteur »  afin de laisser apparaître les traces du discours inconscient que le discours conscient a recouvert. « L’œil les frôle sans s’y arrêter, mais l’inconscient du lecteur les perçoit et les enregistre. […] L’analyste, à partir des traces qui demeurent offertes à son regard- écoute, ne lit pas le texte, il le délie. »[1]
Cette écoute « lâche » ou « flottante », selon André Green, qui « vient doubler la lecture rigoureuse », est l’un des aspects de la déliaison que l’on pourra aborder, sans toutefois s’y limiter.
Souvent, dans le détachement qui écarte le texte de la fonction de représentation, la déliaison est indice d’une poéticité, qui peut aussi habiter la fiction et non seulement le texte identifié comme appartenant au genre poétique. Ressort reconnu de la poésie, la déliaison prend-elle des formes spécifiques en fiction ? En quoi dès lors le roman diffère-t-il du poème, si ce n’est par sa longueur ?
On pourra également poser la question de l’ancrage du texte délié si ce n’est dans une réalité extérieure à lui et le précédant. Quels modèles pour la peinture ou le dessin verbal et plus précisément littéraire ? Ce dernier est-il forcément abstrait ? On pourra s’intéresser aussi aux rapports entre le texte et d’autres formes artistiques, figuratives ou non, visuelles, plastiques ou musicales, entre autres, afin de mettre en lumière les différentes façons selon lesquelles le texte s’éloigne de la relation de représentation.
Enfin, les contributions pourront se pencher sur la traduction du texte délié. Quels rapports le traducteur doit-il privilégier[2] pour recréer dans une autre langue l’expérience offerte au lecteur en langue originale, pour susciter entre langue et langage inventé en son sein une même dynamique de réciprocité créatrice ?
Tout du long, l’analyse littéraire, linguistique ou philosophique, aura pour horizon la vision du langage reflétée par le texte, ainsi que du rapport du langage au monde. Quelle que soit l’approche choisie, on pourra se demander en quoi le texte délié peut multiplier les modalités de relation possible, et par là, décupler les forces du lecteur. [3] 
 
 
Bibliographie indicative
Bonnefoy, Yves : L’Autre Langue à portée de voix  Paris : Seuil, 2013.
Deleuze, Gilles : Logique du sens  Paris : Editions de Minuit, 1969.
Depraz, Natalie et Serban, Claudia éds : La Surprise à l’épreuve des langues  Paris : Hermann, 2015.
Green , André : La Déliaison Paris : Les Belles Lettres, 1992.
Laplantine, François : Son, Images et langage. Anthropologie esthétique et subversion Paris : Beauchesne, 2009.
Lecercle, Jean-Jacques : The Violence of Language  London & New York : Routledge, 1990.
Jean-Claude Pinson : Habiter en poète  Seyssel : Champ Vallon, 1995.
Prigent, Christian : La Langue et ses monstres  Paris : P.O.L., 2014.
 
 
 
colloque en anglais et français
champs concernés : littérature, linguistique, philosophie.
invité : Rob Stephenson ; exposition de l’œuvre visuelle de Rob Stephenson
envoi d’un résumé des communications un mois à l’avance, pour traduction
 
 

Les propositions, de 500 mots environ, sont à envoyer à Oriane Monthéard oriane.montheard@univ-rouen.fr et Anne-Laure Tissut  anne-laure.tissut@univ-rouen.fr   avant le 14 mars 2016.



 Call for papers
“Unmoored languages”
International conference to be held on November 3rd and 4th at the
University of Rouen, Maison de l’Université
 
Obviously a literary text does not entertain with the world a simply representational relation– although one should immediately amend such a statement, for representation is never quite so simple. To some authors writing is an opportunity not to capture nor to narrate the world but rather to create autonomous worlds; however, the latter always are to some extent influenced by their concrete environment, close by or farther away. As writers launch into the exploration of aesthetic and emotional virgin territories, yet unmapped by literature, they have to invent new languages to account for unheard of situations and experiences. Such is the case of Ben Marcus, Christine Schutt, Gary Lutz, Rob Stephenson, Blake Butler, Guy Davenport, Laird Hunt or Percival Everett, as well as, less ostensibly, of Thomas Pynchon, Don DeLillo, Karen Tei Yamashita or again, of Steve Tomasula.
Both the writer’s and the reader’s experiences are above all language experiences, since the text sometimes seems to generate itself, through likenesses, filiations, or other relations of kinship, to the point of apparently no longer referring to anything but texts -be they other works in literary history, other texts by the same author, or other passages from the same text. The materiality of language comes out. The sounds and rhythms or even visual effects of a text become living milieu rather than material or simple instruments subordinated to thought. Though the effect first produced upon the reader may be of strangeness or obscurity, if not hermetism, such unmooring of language actually warrants the valuable extension of language.  
The analysis may focus on the nature of the mutations to which language is submitted, as well as on the various ways in which the text makes sense in spite of it all. How can the reader appropriate the “remainder” as theorized by Jean-Jacques Lecercle, and still find meaning in the apparently meaningless text? Gilles Deleuze’s work may bring valuable inspiration to the study of the relations between sense and nonsense. The question may be raised of how to describe “that which exceeds language without bringing about any surrender to the ‘ineffable’, the unsayable’, the ‘undescribable’, the ‘untranslatable’, in a word, to ‘mystery’.” (Laplantine, page 9) Every once in a while, rather than staying apart from the reader, unmoored writing is better able to develop deep links with her, thanks to its capacity to bring up, bring back and bring out buried, unsuspected emotions and aesthetic experiences, all of a sudden turned oddly familiar, like a (false) déjà-vu.
Thus unmoored writing calls for an “unbinding” or “loosening” type of reading[1], whose modalities recall those of psychoanalytical listening. According to André Green, such reading “follows the threads in the text but refuses the main, leading one that is being put forward by the text.” so as to allow traces of an unconscious discourse to emerge from the conscious one. […] The eye passes over them without stopping, but the reader’s unconscious perceives and records them. […] The analyst starts from the traces that were left for his eyes to see –he listens, but reads not the text, which he rather unbinds or loosens. »[2]
Such a loose or floating way of listening, which according to André Green “comes to double rigorous reading”, is one of the aspects of unmoored language to be broached, though not exclusively.
Often, as the text is taken away from the function of representation, the poetic dimension emerges, not only in the texts acknowledged as belonging to the genre of poetry, but also in prose. While such materiality of language has been acknowledged as one of the main operative principles in poetry, does it acquire specific forms in fiction? Then in what ways does a novel differ from a poem, other than in terms of length?
Then the questions may be raised as to the kind of anchoring left the unmoored text if not to some external reality having preceded it. Which models for the verbal, or more precisely literary painting or drawing? Must it be abstract?  The relations between literature and other arts may also be considered-visual, plastic or musical arts, figurative or not- so as to explore the many ways in which text draws away from representation.
Finally, papers may focus on how to translate the unmoored text. Which relations should the translator privilege[3] in order to create in another language the original experience offered to the reader in the original language, as well as to arouse between the common language and the idiosyncratic language invented within it a similar dynamics of reciprocal creativity?
Throughout, literary, linguistic or philosophical analysis will have as its horizon the vision of language reflected by the unmoored text, as well as of the relation between language and the world. Moreover, one may wonder whether the unmoored text is able to multiply the possible relational modalities, thus increasing the reader’s strength.[4]
 
Selective Bibliography
 
Bonnefoy, Yves : L’Autre Langue à portée de voix  Paris : Seuil, 2013.
Deleuze, Gilles : Logique du sens  Paris : Editions de Minuit, 1969.
Depraz, Natalie et Serban, Claudia éds : La Surprise à l’épreuve des langues  Paris : Hermann, 2015.
Green , André : La Déliaison Paris : Les Belles Lettres, 1992.
Laplantine, François : Son, Images et langage. Anthropologie esthétique et subversion Paris : Beauchesne, 2009.
Lecercle, Jean-Jacques : The Violence of Language  London & New York : Routledge, 1990.
Jean-Claude Pinson : Habiter en poète  Seyssel : Champ Vallon, 1995.
Prigent, Christian : La Langue et ses monstres  Paris : P.O.L., 2014.
 
 
Conference to be held in English and French
 Fields concerned : Literature, Linguistics, Philosophy
 Guest speaker: Rob Stephenson   Exhibition of his visual works at the MDU
 A brief overview of papers will be required one month ahead of time, for translation.
 
 
Submissions (of roughly 500 words) should be sent to Oriane Monthéard oriane.montheard@univ-rouen.fr and Anne-laure Tissut  anne-laure.tissut@univ-rouen.fr   by March 14th 2016.


[1] « délie » rather than « lit » (« loosens » rather than « reads “), showing a serendipitous closeness in sounds in French.
[2]  André Green, « La déliaison », in Littérature, n°3, 1971. Octobre 1971. pp. 33-52.
     doi : 10.3406/litt.1971.1928, http://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_1971_num_3_3_1928, document généré le 25/09/2015
[3]  Derek Attridge : “… words and their arrangements are […] relations or relatings, and these specificities can be respected even when the material entities themselves undergo transformations.”     The Singularity of Literature, page 73.
 [4]  François Roustang evokes the person’s access to « a new relational complex, larger and flexible. The strength that she then feels comes from the fact that she no longer counts on her strength alone but on all the strength imparted from the elaborate and varying network in which she finds herself, letting herself be shaped by it.” Savoir attendre, Odile Jacob, 2006, page 35.
 
 

 


[1] André Green, « La déliaison », in Littérature, n°3, 1971. Octobre 1971. pp. 33-52.
doi : 10.3406/litt.1971.1928, http://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_1971_num_3_3_1928, document généré le 25/09/2015
[2] Derek Attridge : “… words and their arrangements are […] relations or relatings, and these specificities can be respected even when the material entities themselves undergo transformations.”     The Singularity of Literature, page 73.
 [3] François Roustang évoque l’accès à « un nouveau complexe relationnel souple et ample. La force qui est alors ressentie naît du fait que nous ne disposons plus seulement de nos propres forces, mais de toutes celles qui nous sont octroyées par le réseau multiforme dans lequel nous sommes placés et par lequel nous acceptons d’être façonnés. » Savoir attendre, Odile Jacob, 2006, page 35.

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