Qu’elles soient contestées, transgressées, transcendées, renforcées ou intégrées, les frontières sont donc au coeur du débat politique. Ce colloque – le premier d’une série intitulée « Frontières, espaces et pouvoirs » – s’intéressera aux frontières dans une ère géographique particulière : le continent américain. Parce qu’elles ont été colonisées par les pouvoirs européens, les Amériques ont de cela en commun que leurs frontières ont été mises en place afin d’« ordonner » le Nouveau Monde [Popescu, 2011, 8]. Plus exactement, elles combinent de façon originale deux formes d’appropriation territoriale, une logique de conquête zonale colonisatrice (frontier) et une volonté de maillage du monde dans une perspective occidentale de l’espace (boundary) [Perrier Bruslé, 2007]. Elles véhiculent donc une dimension exogène qui peut avoir des implications pour les espaces et les communautés qu’elles traversent tant en termes de légitimité que d’identité. Au-delà de leur passé colonial, les Amériques ont, depuis les années 1990, un autre point commun : embrassant les forces de la mondialisation, elles ont mis en place des accords commerciaux que ce soit par le biais de l’ALENA pour l’Amérique du nord ou du MERCOSUR pour l’Amérique du sud, afin de favoriser l’intégration régionale. Et ces accords ont mis en avant une vision particulière de la frontière, une frontière qui apparaît davantage comme une « ressource » et moins comme un « stigmate » [Amilhat-Szary, 2015, 85]. Au niveau local, les acteurs ont parfois un point de vue différencié sur la mise en valeur des territoires « périphériques » où ils vivent et développent des initiatives para-diplomatiques innovantes. Sur un continent, dont certaines régions ont été marquées par des conflits frontaliers récurrents depuis le 19ème siècle et où les frontières sont, pour certaines, aujourd’hui encore contestées, notamment en Amérique centrale, [Medina, 2009, 36-37], l’intégration a été un « facteur de stabilisation » [Medina, 2009, 41] sans gommer les tensions de géopolitique interne qui débordent parfois outre-frontière, mettant en péril la stabilité continentale.
Cependant, les attentats du 11 septembre 2001 – et plus généralement l’émergence d’une menace terroriste internationale, présente en Amérique Latine dès les attentats de Buenos Aires, dans les années 1880 – ont modifié le rôle des frontières, contribuant à leur « refonctionnalisation ». La résurgence d’une Fortress America [Alden, 2008], [Andreas, 2003], [Noble, 2004] a été très largement documentée pour ce qui est des Etats-Unis mais le phénomène de rebordering concerne aussi les frontières latino-américaines de façon néanmoins plus ambivalente puisqu’elles sont prises dans un processus contradictoire de « démantèlement et de construction » [Machado De Olivera, 2009, 19]. Alors que certaines semblent se fermer, en raison de la réponse qu’ont eue certains pays contre le terrorisme, d’autres, au contraire, prennent un chemin inverse d’ouverture, notamment en Amérique
centrale [Médina, 2009, 138]. On y lit sur ce continent une politique de réinterprétation originale des grandes tendances de gestion des frontières au niveau mondial, avec par exemple le déploiement d’un appareil de sécurisation des frontières brésiliennes d’une ampleur sans précédent, sans remise en question réelle de la croissance des flux d’échange internationaux, légaux comme illégaux (contrebande, narcotrafic, etc…) [Dorfman et al, 2014], [Dorfman et al, 2017].
frontalières, il peut être intéressant de se demander en quoi une approche continentale permet de faire le point sur des spécificités régionales, mais aussi de contribuer, de façon originale, à cet effort épistémologique [Mezzadra, 2013], [Nail, 2016], [Parker et al, 2012], [Wastl-Walter, 2012].
- Les communications pourront porter sur les différentes politiques mises en place depuis le début des années 2000, notamment en relation avec ce phénomène de rebordering qui est enjeu à l’échelle mondiale. Comment les pays gèrent-ils leurs frontières dans ce nouveau contexte ? Les propositions peuvent aussi bien s’attacher aux dispositifs eux-mêmes qu’à leurs implications pour les relations transfrontalières. Des études de cas ou bien des approches comparatives sont les bienvenues qui tentent notamment, au-delà des synthèses régionales déjà établies, de lier les deux moitiés des Amériques… [Brunet-Jailly, 2007], [Konrad et al, 2008].
- Les propositions pourront également analyser la façon dont les frontières américaines évoluent, entre ouverture et fermeture, « fonctionnalisation et défonctionnalisation » [Foucher, 1991], [Pradeau, 1994, 16-17] afin d’étudier ces dynamiques à la fois à petite échelle, au niveau de la dyade que forment certains pays, ou bien à plus grande échelle – régionale ou continentale. On s’intéressera notamment aux aspects matériels d’une telle dynamique, et à la façon dont ce processus se territorialise. Les approches historiques qui renouvellent la question du conflit frontalier territorialisé et multiplient les échelles de lecture, proposant des efforts pour faire évoluer les récits nationaux et nationalistes contradictoires, seront également recherchées [Parodi Revoredo et al, 2014].
- Les communicants peuvent également explorer la question de l’intégration continentale au sein de l’ALENA et du MERCOSUR, mais aussi à l’échelle de l’ensemble des deux Amériques (UNASUR). Où en sont ces ensembles régionaux qui se présentaient comme des modèles dans les années 1990 ? Comment les différents pays membres envisagent-ils leurs relations aux frontières dans ces cadres-là ? Comment les deux phénomènes d’intégration et de rebordering cohabitent-ils ? Quels sont les mouvements de résistance à ces processus, comment s’expriment-ils politiquement et à quelle(s) échelle(s) ?
- Plus largement, les communicants sont invités à étudier les relations frontalières afin de voir quels enjeux de coopération transfrontalière se nouent entre les pays, quel genre de complémentarité peut s’établir de part et d’autre d’une ligne internationale. A petite échelle, comment cela peut-il donner naissance à des binômes urbains et des régions transfrontalières ? On fera là une place aux contre-initiatives politiques, car les exemples sont nombreux, dans les Amériques, de mouvements sociaux transnationaux qui dénoncent et embrassent tout à la fois les frontières. Les approches comparatistes seront les bienvenues.
- On s’intéressera également au travail de la frontière « par le bas » [Runford, 2014] : comment les habitants des régions frontalières interagissent-ils avec les normes internationales qu’ils côtoient ? La frontière étant un « marqueur d’identité » [Piermay, 2005, 206], un questionnement sur le lien entre identité, territoire et frontière est bienvenu. Quelles interactions et quelle(s) identité(s) émerge(nt) de ces liens transfrontaliers ? Comment les individus se construisent-ils vis-à-vis de la frontière ? D’autres « third nations » [Dear, 2013, 71], à l’instar de ce qui se passe le long de la frontière Mexique/Etats-Unis, ont-elles émergé ? La question est d’autant plus importante dans certaines régions d’Amérique centrale où « l’Etat a précédé la nation » [Medina, 2009, 38]. A partir de là, quel rôle les frontières jouent-elles dans la « cohésion nationale » [Ibid] ? Quelles représentations les communautés frontalières mettent-elles en place ? Une des dimensions de la construction des identités frontalières étant liée à l’histoire pré-colombienne du continent, on fera dans le colloque une place importante à l’interprétation que les populations autochtones font de la construction des frontières [Nates Cruz, 2013].
- Les traversées des frontières et leur coût humain croissant feront également l’objet d’une attention croisée [De Leon et al, 2015]. Il s’agira à la fois de comprendre les flux intracontinentaux, liés aux mobilités de travail notamment, mais aussi la façon dont les Amériques s’inscrivent dans des stratégies migratoires de grande ampleur, avec des personnes de plus en plus nombreuses qui, par exemple, tentent d’arriver en Amérique du Nord depuis l’Afrique, en traversant l’Atlantique par la vieille route des esclaves puis en tentant leur chance sur des itinéraires de remontée vers le nord longs et périlleux.
- Les phénomènes illégaux qui se sont développés dans les Amériques peuvent également constituer un sujet intéressant : que ce soit le narcotrafic, l’immigration illégale ou bien les cartels, etc. Leurs causes, leurs ramifications, leurs implications pour les populations locales ainsi que les politiques mises en place pour les combattre sont autant d’angles que les communicants sont encouragés à aborder.
- La question des frontières maritimes pourra également être abordée puisque leur délimitation pose de vives tensions, notamment en Amérique Centrale [Medina, 2009, 40]. Elle pose aussi la question des frontières externes du continent, notamment sur le front arctique [Nicol et al, 2009]. Elle ouvre de façon plus générique sur la dimension environnementale des questions de frontière [Wadewitz 2012], qui prend une dimension singulière dans les Amériques où, pour une majorité, les limites internationales traversent des zones de faible densité d’occupation humaine.
- Les propositions portant sur les questions relatives aux frontières urbaines sont également les bienvenues [Chevalier et al, 2004]. En effet, parce qu’elles partagent la même expérience d’un développement lié au néo-libéralisme économique, les villes des Amériques sont devenues des régions frontalières avec des frontières à la fois formelles et informelles établies et surveillées au nom de catégories socio-économiques supérieures et autres acteurs de la « gentrification ». En découle un phénomène de « dépossession » [Harvey, 2008] qui touche l’ensemble des villes américaines, de San Francisco à Sao Paolo, dont sont victimes leurs résidents traditionnels. Les communicants pourront aborder ce phénomène ainsi que ses modalités. Comment ces frontières urbaines ont-elles été imposées par les gouvernements et les municipalités ? Comment se structurent-elles et se manifestent-elles ? Comment les résidents traditionnels se sont-ils mobilisés et quelles formes de résistance politique, sociale et culturelle ont émergé ?
- Enfin, les espaces frontaliers étant des lieux en perpétuelle évolution dont l’expression esthétique et les imaginaires se recomposent rapidement [Rodney, 2017] [Amilhat-Szary, 2014], on s’intéressera aux interventions et performances qui s’y déroulent, à travers le continent, et pas uniquement sur les tronçons frontaliers les plus médiatisés.
Bien qu’axé sur la géographie et la géopolitique, ce colloque se veut avant tout transdisciplinaire et toutes les approches sont les bienvenues, qu’elles aient trait à la géographie, l’histoire, la science politique, les relations internationales, la sociologie, l’anthropologie. Les communicants sont également encouragés à adopter des méthodologies pluridisciplinaires.
Date : 11-13 Juin 2019
31 octobre 2018 (nouvelle date) : Date limite d’envoi des propositions à l’adresse suivante : bordersinamericas.2019@gmail.com Les réponses d’acceptation seront envoyées aux intervenants mi-décembre
Les propositions (en anglais, en français, ou en espagnol) comprendront un résumé de 300 mots environ et une courte notice biographique de 100 mots.
- Papers can deal with the policies that have been put in place since 2001, especially with regards to the phenomenon of rebordering which is at stake on a global level. How do countries manage their border to address this new context? Submissions can concentrate both on the mechanisms themselves and on their implications for cross-border relations. Case studies and comparative approaches will be particularly welcomed, especially when they try to go beyond regional syntheses and bridge the gap between the two Americas … [Brunet-Jailly, 2007], [Konrad et al, 2008].
- Submissions can also analyze how American borders evolve, from an opening process to a closing one, “functionalizing and dysfunctionalizing” [Foucher, 1991], [Pradeau, 1994, 16-17] in order to study these dynamics both on a small scale and a large scale. Historical approaches, which renew the question of territorialized border conflict and multiply the reading scales, demonstrating efforts to make national and contradictory nationalist narratives evolve, will also be appreciated [Parodi Revoredo et al, 2014].
- More largely, participants are invited to study cross-border relations in order to determine the type of cross-border cooperation that is being shaped between different countries.
- Participants can also explore the issue of continental integration within NAFTA and MERCOSUR, but also at the level of both Americas (UNASUR). How can we evaluate these regional blocs which presented themselves as models in the 1990s? How do the member countries perceive their relations along the borders in this context? How do integration and rebordering coexist for that matter? What are the resistance movements against these processes, how do they express themselves politically and at which levels?
- Papers on illegal phenomena which have been developing in the Americas are also welcome: drug trafficking, illegal immigration, cartels… The reasons why these different types of trafficking developed, as well as their consequences and implications for local populations and the policies put in place to fight them, are among the many angles that can be chosen by participants.
- We will also be interested in “bottom-up” research on the border [Runford, 2014]: how do regional borders inhabitants interact with international norms they are in contact with? The border concept being an “identity marker” [Piermay, 2005, 206], one can scrutinize the relations between the notions of identity, territory and border. What are the interactions and identities which emerge from these cross-border relations? How do individuals develop in relation with the border? Are there any other “Third Nations” [Dear, 2013, 71] which have emerged as we can notice along the Mexican/American border? The issue is particularly relevant in some regions of Central America where the “state predated the nation” [Medina, 2009, 38]. From then on, what has been the role of borders in creating a form of “national cohesion” [Ibid]? Which forms of political representations are being set up by border communities? In this perspective, the permeability of borders can be discussed as well: do transnational social movements transcend border through arts, culture, the media? One of the dimensions of border identities building being related with the pre-Colombian history of the continent, we will also dedicate an important place to the interpretation of the border- building by local populations [Nates Cruz, 2013].
- A cross-examination of border crossing and an evaluation of their growing human costs will also be welcomed [De Leon et al, 2015]. The goal will be to understand intracontinental fluxes, which are linked with working mobility, but also how the Americas integrate their migratory strategies with an increasing number of people who try to reach North America from Africa, crossing the Atlantic Ocean, using the same slave itineraries, before embarking on longer and more dangerous paths toward the North [Tapia Ladino, 2014].
- The issue of maritime borders can also be broached since their boundaries raise tensions, particularly in Central America [Medina, 2009, 40]. It raises the question of the external borders of the continent, especially on the Arctic front [Nicol et al, 2009]. It opens up on a more generic environmental dimension of border questions [Wadewitz, 2012]. This question takes a surprising dimension in the Americas, where, for a majority of people, international limits cross zones of low-density populations.
- The issue of internal borders and more specifically urban borders can be analyzed [Chevalier et al, 2004]. Indeed, with the shared hemispheric experience of neoliberal economic development, cities in the Americas have become borderlands, with both formal and informal borders established and policed on behalf of the wealthy and other “gentrifiers.” The dispossession [Harvey, 2008] of American cities from long-term residents of all classes by the wealthy, aided by representatives in government, has become a common phenomenon from San Francisco to Sao Paolo. Papers dealing with the dispossession of American cities are welcome. How have urban borders been imposed by governments, municipalities? How has it been met by long-term residents? What forms of political, social and cultural resistance have emerged?
- Border spaces being places in constant evolution, where aesthetic expression and imaginaries are rapidly being recomposed [Rodney, 2017] [Amilhat-Szary, 2014], we will also be interested in performances that happen throughout the continent, not only on the more mediatized border spaces.
Even though the symposium focusses primarily on geography and geopolitics, it can be defined as a transdisciplinary event, which encourages all sorts of approaches, whether it be in geography, history, political science, international relations, sociology, anthropology or cultural studies. Participants are also invited to use multidisciplinary methodological approaches.
Date: June 11-13, 2019
October 31, 2018: Extended deadline. The application is to consist of a 300-word abstract of the paper; a 100-word biographical statement will also be included. Applications are to be sent at the following address: bordersinamericas.2019@gmail.com
The responses will be sent to by mi-December