APPEL A COMMUNICATIONS
Dans le cadre du programme « Musique et Littérature » porté conjointement par les laboratoires CAS (EA 801) et LLA-CREATIS (EA 4152), une journée d’études intitulée « Musique et Polar : notes, cris, encres noires » aura lieu à l’Université de Toulouse Jean Jaurès le 3 avril 2020. Centrée sur le domaine anglophone (littérature et cinéma), elle a pour but de prolonger, en considérant plus précisément les fictions policières, les réflexions précédemment engagées sur la dialectique entre musique et morale (La Musique et le mal, Revue Musicorum n°18, 2017) ou sur la présence, dans le champ musical et ses représentations, de figures équivoques, éventuellement menaçantes (L’Accordeur de piano dans la littérature et au cinéma, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2019, à paraître).
En relation avec la thématique « Dérèglements » choisie pour le séminaire 2019-2020, cette journée d’études s’emploiera à recenser et à analyser les formes de perturbation induites par la musique, donnant lieu à une rupture souvent radicale avec la conception traditionnelle de celle-ci comme pacificatrice, régulatrice, vectrice d’harmonie entre les êtres.
Dans cette perspective, on se propose de traquer les modes de présence de la musique dans le roman et le film policiers ainsi que les relations que celle-ci entretient avec les éléments de déstabilisation, voire de dissonance, qui jalonnent l’ensemble de ces fictions. Au cinéma, la musique entre « dans une composition audiovisuelle, en relation avec les voix et les bruits, ses fonctions dramatiques et esthétiques sont multiples » (Jacques Aumont et Michel Marie, Dictionnaire théorique et critique du cinéma, 2001) et ne saurait se limiter à un rôle de « papier peint » pour reprendre l’expression péjorative utilisée par Igor Stravinsky « pour en souligner l’aspect conventionnel, décoratif et superfétatoire » (Aumont et Marie). Au contraire, la musique crée du sens comme le montre Michel Chion dans la nouvelle édition revue et augmentée de La Musique au cinéma (2019) : « une musique dans un film ne s’y dissout pas, mais elle en est modifiée tout en le modifiant. C’est dans le film même qu’il faut l’étudier. » On s’attachera donc à comprendre dans quelle mesure les intrigues policières constituent un terrain privilégié d’expression des variations infinies de la musique.
Dans le domaine du polar, on pourra se demander quelles histoires, quels imaginaires se tissent à partir de l’art des sons. Que penser des cas où la musique est thématisée comme faisant partie intégrante de l’univers noir, comme dans Brown’s Requiem de James Ellroy ? Quels enjeux revêtent les fictions sérieuses ou parodiques articulées autour de personnages de tueurs musiciens, comme Hangover Square (1945) de John Brahm, The Beast with Five Fingers (1946) de Robert Florey ou encore de mélomanes comme le pervers amateur de petites filles de The Naked Kiss (Samuel Fuller, 1966) qui est un fervent admirateur de la Sonate au Clair de Lune ? De quelles situations et problématiques la musique s’empare-t-elle, de quelles résonances les charge-t-elle ? Dans quelle mesure s’accorde-t-elle, comme c’est souvent le cas dans les fictions « noires », à une méditation sur la traduction psycho-pathologique des données sociales et/ou historiques, comme dans Fingers (James Toback 1977), dans le roman de Thomas Harris The Silence of the Lambs (1988), ou encore dans les adaptations cinématographiques de la série des Hannibal où le personnage du tueur en série est associé aux Variations Goldberg[1] ?
Selon quels protocoles la musique s’intègre-t-elle, dans une certaine lignée « holmesienne », au processus d’enquête, comme on peut l’observer par exemple dans les romans de Colin Dexter, Frank Tallis ou Morley Torgov, dans certains films noirs classiques mettant en scène un détective privé ou un inspecteur de police (The Maltese Falcon, The Big Sleep, Laura…), dans les thrillers hitchcockiens classiques, ou sous des formes renouvelées (Chinatown, The Usual Suspects, Blue Velvet) ou bien encore dans les multiples adaptations des romans de Conan Doyle depuis les débuts du cinéma jusqu’à aujourd’hui[2].
On pourra également s’intéresser au changement de statut de la musique de film lors de la transition du muet au parlant. On passe en effet d’accompagnements musicaux et sonores hétérogènes allant de l’air de piano désaccordé improvisé par un pianiste aux moyens limités des tout débuts du cinéma[3], à la partition originale exécutée par un orchestre au grand complet[4]. De même, avec la redécouverte dans les années 1980 de l’accompagnement en direct à l’occasion de restauration de films muets[5], de nouvelles musiques originales sont apparues, fondées sur l’idée que la musique se substitue au langage verbal et crée du sens[6].
Pour chacune de ces questions, dont la liste n’est bien sûr pas exhaustive, on pourra examiner, entre autres, la fonction d’identification et d’indice de la musique dans une œuvre donnée, la manière dont elle permet au lecteur ou au spectateur d’établir une démarcation nette entre les personnages, ou entre plusieurs facettes d’un même personnage (on songe au leitmotiv et à ses formes dérivées). En outre, dans les fictions mettant en scène l’univers musical, les figures musicales troubles et génératrices de malaise (individuel ou social) peuvent se retrouver chez certains personnages, révélant la force d’appel que représente la musique ainsi que la puissance désirante qui lui est invariablement associée et qui peut, à l’occasion, se faire criminogène. Enfin, l’élément musical peut, par sa nature même ou les modalités de ses interventions, déployer au sein du roman ou du film policiers un espace d’inattendu et d’inédit susceptible de questionner les codes et les frontières du genre et de bousculer, ce faisant, les attentes du lecteur ou du spectateur en la matière.
Nous vous prions de bien vouloir adresser les propositions de communication (d’une dizaine de lignes, en français ou en anglais), accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, conjointement à Nathalie Vincent-Arnaud (nathalie.vincent-arnaud@univ-tlse2.fr), Cristelle Maury (cristellemaury@gmail.com) et Frédéric Sounac (fredericsounac@aol.com) pour le 15 octobre 2019.
[1] Voir Carlo Cenciarelli (2012) « Dr Lecter’s Taste for ‘Goldberg’, or: The Horror of Bach in the Hannibal Franchise », Journal of the Royal Musical Association, 137:1, 107-134.
[2] Sherlock Holmes est le personnage le plus représenté au cinéma avec plus de 275 films recensés par le site IMDB où il est le personnage principal.
[3] C’est le cas par exemple pour le premier film de gangsters Musketeers of Pig Alley (DW Griffith 1912).
[4] comme c’est le cas pour Underworld (Von Sternberg 1927), le film qui aurait lancé le film de gangsters en tant que genre aux Etats-Unis, et dont la partition a été composée par James C. Bradford.
[5] Voir l’ouvrage collectif édité par K. J. Donnelly et Ann-Kristin Wallengren (eds.) Today’s Sounds for Yesterday’s Films: Making Music for Silent Cinema (2016).
[6] Robert Israel a composé de nouvelles musiques pour Underworld (voir à ce sujet le chapitre de Christopher Natzén « Multiple Soundtrack Versions on DVD: Scoring Modern City Life and Pastoral Countryside » in Today’s Sounds for Yesterday’s Films:) et pour The Black Bird (Tod Browning, 1926).