Le roman historique constitue actuellement un genre extrêmement prolifique, qui touche un large public, et rencontre un succès grandissant. Répondant à une curiosité pour les époques passées ainsi qu’à un désir de dépaysement et de distraction, le roman historique doit satisfaire à des exigences parfois contradictoires. La diversité des attentes explique en partie l’aspect protéiforme du roman historique, érudit ou populaire, novateur ou stéréotypé, divertissant ou didactique… Le genre se constitue au XIXe siècle, à partir de l’œuvre de Walter Scott dont les Waverley Novels constituent un modèle pour toute une génération de romanciers. Contemporaine de l’émergence de la discipline historique, qui se détache des Belles-Lettres, l’apparition du roman historique vient répondre à une attente du lectorat. Le roman historique devient rapidement un genre à grande diffusion auquel s’essaient les grands noms du romantisme (en France, Dumas, Vigny, Hugo…) aussi bien que de plus obscurs prosateurs. Le « siècle de l’histoire » est aussi celui du roman historique, dont l’ambition dépasse celle de distraire les lecteurs par des aventures teintées de couleur locale : il s’agit pour beaucoup d’écrire l’histoire, avec une ambition didactique, mais aussi idéologique. En effet, pour les romanciers, parler d’hier est bien souvent une manière de penser aujourd’hui. A partir de cette apparition, on constate que le roman historique ne cesse d’occuper une place de choix dans la production littéraire : il accompagne en effet le réalisme, le naturalisme, croise ensuite les grandes crises du XXe siècle que sont les deux guerres mondiales, dont il rend compte, aux côtés des analyses des historiens et des témoignages individuels. Tout au long de son évolution, le roman historique poursuit son ambition qui est de rendre compte, à sa manière, des événements du passé. Proposant une vision alternative à celle de la discipline historique, elle aussi marquée par des évolutions qui vont voir émerger progressivement sa scientificité, le roman historique continue de raconter des histoires qui croisent la grande Histoire et en proposent une vision partielle et subjective. L’un des problèmes du roman historique se trouve d’ailleurs dans l’articulation entre l’aventure individuelle des personnages et le destin collectif d’un groupe ou d’une nation : lorsqu’ils sont simplement juxtaposés, l’histoire n’est plus qu’un cadre pittoresque pour une histoire personnelle indépendante du contexte. A l’inverse, la fiction se met parfois au service de l’histoire pour en proposer une représentation originale et incarnée. Par sa liberté et son absence d’exigence d’exhaustivité et d’objectivité, le roman historique peut fournir des éléments de réflexion historique, par exemple en adoptant le point de vue des vaincus ou des oubliés de l’histoire, pratique dont l’historien Reinhart Koselleck souligne le gain historique. L’intérêt toujours renouvelé depuis le XIXe siècle pour le roman historique témoigne encore aujourd’hui du succès de ce genre qui navigue entre littérature scientifique et littérature populaire, dont ce colloque se propose d’interroger les contours et les réécritures depuis le XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui et en dépassant les frontières du cadre occidental.
Les communications pourront s’inscrire dans les différents axes ci-dessous (sans que cela soit limitatif) :
1/Origines et modèles du roman historique
On pourra réinterroger la place fondatrice du romantisme et de Walter Scott. Existe-t-il des formes antérieures de roman historique ? Le genre est-il spécifiquement occidental ? Quel est l’apport du roman historique américain ?
2/ Ambitions du roman historique
S’agit-il de concurrencer l’histoire, de proposer une nouvelle vision ? L’apport du roman historique à l’Histoire. Y a-t-il un gain historique apporté par le roman (cf Koselleck et l’histoire des vaincus). Le roman historique entre-t-il en concurrence avec l’histoire officielle ? Au contraire est-il simple écho d’une histoire déjà écrite, et même stéréotypée ? Littérature populaire ou formes savantes ?
3/ Roman historique et idéologie
Y a-t-il un engagement du roman historique dans son temps ? Qu’en est-il de l’histoire immédiate ?
4/ Poétique du roman historique
Comment définir le roman historique ? Quelles sont les différentes formes de roman historique ? Quelle en est l’évolution ? Y a-t-il des époques dont la représentation est privilégiée (Antiquité, Moyen Âge, etc.) et quelle représentation en est donnée ? La période médiévale, privilégiée par le roman historique romantique, trouve-t-elle toujours une place de choix, ou a-t-elle été détrônée par d’autres époques ? Quelle place est donnée au personnage historique ? L’intention historique est-elle compatible avec des formes modernes, voire postmodernes, du roman ?
5/ Les théories du roman historique
Depuis Lukacs et son ouvrage fondateur sur Le roman historique, quelles analyses et théories ont été proposées sur le genre ?
Les propositions, d’une dizaine de lignes en français ou en anglais, assorties d’une courte bio-bibliographie, devront être envoyées avant le 30 septembre 2019 à
Isabelle Durand (isabelle.durand@univ-ubs.fr), Pauline Pilote (pauline.pilote@univ-ubs.fr) et Patricia Victorin (patricia.victorin@univ-ubs.fr)
Call for Papers
The Historical Novel: Origin, Revival, Persistence
(Université Bretagne-Sud, Lorient, April 29-30, 2020)
The historical novel is still today a very fruitful genre with a wide readership and a growing popularity. Yet, answering both to an interest in past eras and a craving for adventure and entertainment, the historical novel must satisfy sometimes contradictory demands. This variety of expectations may account for the multifaceted form of the historical novel as a genre – scholarly or accessible to a wide public, creative or stereotypical, entertaining or instructive… The genre emerges over the 19th century, evolving from Walter Scott’s Waverley Novels, on which a whole generation of followers patterned their own works. Appearing alongside history as a discipline seceding from the belles-lettres, the historical novel soon becomes a widespread genre on its own, almost immediately taken up by the main tenants of Romanticism (in France Alexandre Dumas, Alfred de Vigny, Victor Hugo, etc.), alongside other more obscure prose writers. The so-called “age of History” is also that of the historical novel, which aims further than entertaining readers with adventures and elements giving local colour to the background – many writers intend to write history with a didactic, if not ideological, twist. Indeed, for historical novelists describing the past is often a means of thinking about the present.
From the early 19th century onwards, the historical novel gets an increasingly significant share of the book market: it stands alongside 19th century realism and naturalism, persists through the major crises of the 20th century and its two world wars that it helps to account, alongside historians’ analyses and personal testimonies. Throughout its evolution, the historical novel keeps striving to represent past events in its own way. Bringing an alternative vision that differs from a more historical approach, it nonetheless gradually takes a more scientific turn – the historical novel keeps telling histories that mingle with History and give a more partial and subjective version of it.
One of the main issues of the historical novel precisely stems from the link between the individual adventures of the characters and the collective story of a group or a nation: when the two are only juxtaposed, history becomes a mere colourful background for a personal history that soon does without its context. At the other end of the spectrum, fiction sometimes serves history to give to it a more unusual and personified image. Because of its greater literary licence and the lesser need for an exhaustive and objective account, the historical novel can provide food for historical thinking, for instance by adopting the point of view of the defeated or forgotten of history, while historians such as Reinhart Koselleck point at the historical input of such literary works.
The renewed interest from the 19th c until today for the historical novel testifies to the popularity of a genre that fluctuates between scientific and popular literature and this conference will seek to discuss the limits and the rewritings of such a shifty form, from its inception in the 19th c to the 21st, while looking beyond the European and western boundaries for a more worldwide outlook.
Topics may include (but are not restricted to) the following:
1/ Origins and models for the historical novel
Papers could question and discuss the founding role of Walter Scott and Romanticism. Are there pre-existing forms of historical fiction? Is the genre of a specifically European origin? What did the American historical novel bring to the genre?
2/ The aims of the historical novel
Does the historical novel aim at challenging history? Does it look for a new vision of history? What is the input of historical novels to the writing and understanding of history? (cf Koselleck). Do historical novels contend with official history? Or are they merely the echo of an already written history? Or even its stereotypical vision? Does it belong to popular mainstream literature or should it fall into scholarly works?
3/ Historical novel and ideological claims
Is the historical novel committed to its time? How does it deal with present history?
4/ Historical fiction and theoretical issues
How do we define the historical novel? What are the various forms of historical fiction? How can we trace its evolution? Does it favour some historical periods over others? What representations does it give of the various historical periods? What about the Middle Ages, favoured by the early historical novel? Is it still popular today or has it been superseded by other periods? What is the place given to historical characters? Is the historical endeavour compatible with more modern, even postmodern, forms of fiction?
Since Lukàcs and his seminal work The Historical Novel, what analyses and theories have been issued on the genre?
Abstracts (15 lines and a short biography) should be sent before September 30, 2019 to Isabelle Durand (isabelle.durand@univ-ubs.fr), Pauline Pilote (pauline.pilote@univ-ubs.fr), and Patricia Victorin (patricia.victorin@univ-ubs.fr).