28 mai 2019 La machine dans la littérature et les arts visuels du monde anglophone Journée d’études – Journée d’études organisée par le laboratoire doctoral OVALE rattaché à l’Unité de recherche VALE (EA 4085), Faculté des Lettres de Sorbonne Université.

 

 

 

 

La question de la machine appelle à ouvrir un dialogue entre les sciences et les arts. Il semble difficile en effet de penser la machine en dehors du contexte des évolutions scientifiques, depuis les inventions de la Renaissance et les machines volantes dessinées par Léonard de Vinci jusqu’aux robots ultra-performants du XXIesiècle. Si l’on suit la définition que propose Aristote dans Problèmes mécaniques, la machine est « ce qui nous permet de vaincre la nature dans notre propre intérêt ». Des tableaux de Turner au Modern Times de Chaplin, les machines ont nourri l’imaginaire de la littérature et des arts anglophones, alors même qu’il ne nous est pas naturel d’associer les engrenages de la mécanique à la créativité de l’artiste. Les machines ont néanmoins indéniablement révolutionné les arts et leur réception, grâce à l’imprimerie, aux machines à écrire, aux ordinateurs et aux techniques de reproduction, qui ont permis l’accès d’un large public aux œuvres produites en série. Les machines de plus en plus performantes ont permis au cinéma de devenir parlant, tandis que la couleur et les effets spéciaux donnent vie aux créations les plus inventives.

La machine a été élevée au rang de symbole de la modernité, devenant synonyme de productivité et d’optimisation dans une perspective de rendement capitaliste. La Révolution industrielle marque un tournant dans le rôle et dans l’esthétique des machines, représentées dans le roman Hard Times de Dickens, et célébrées par Whitman dans son poème « To a Locomotive in Winter ». Cette exaltation du progrès se trouve au cœur de l’esthétique des avant-gardes, au début du XXesiècle. Ainsi, Ezra Pound propose son célèbre « Make it new ! » tandis que Wyndham Lewis et les vorticistes élaborent une pensée de la machine dans la revue Blast. Le Manifeste futuriste de Marinetti fait l’éloge du danger, de la vitesse et du mouvement, érigeant la machine à la fois comme symbole et comme moteur du progrès.

A la fascination se substitue une peur du remplacement et de la dépendance de l’homme à la machine lorsque les créatures dépassent leur inventeur, ainsi que l’illustre le Frankenstein de Mary Shelley et son monstre assemblé comme une machine grâce à une méthode qui s’apparente au bricolage (Lévi-Strauss). La machine-outil cède la place à la machine intrusive. Quand les machines, elles-mêmes des corps mécaniques, prennent vie, surgit la crainte d’un corps-machine dénué d’âme qui mène à une remise en question de l’humanité même de l’être vivant, sur laquelle jouent de nombreuses œuvres de science-fiction. Cela nous amènera à réfléchir au mécanisme du corps doué de raison tel qu’il apparaît chez Descartes, et à la conception deleuzienne du corps comme machine désirante. Au théâtre, le corps automate permet de repenser le jeu du comédien, comme chez Edward Gordon Craig pour qui l’acteur doit être une « sur-marionnette ». Le genre littéraire de la dystopie, de Brave New World d’Huxley à Nineteen Eighty-Four d’Orwell, présente les rouages de la machine politique, alors que la technologie devient un outil de surveillance et d’oppression, menant à la déshumanisation. Les débats actuels sur l’intelligence artificielle, sur la cybernétique (Wiener, Porush) et sur la robotique nourrissent les pistes développées par le transhumanisme et par le posthumanisme (Hayles). Si le transhumanisme se veut une exploration éclairée des possibilités d’amélioration de l’expérience humaine par la technologie, le posthumanisme propose une vision plus critique qui souligne la menace inhérente à la dématérialisation croissante des machines.

Il n’en demeure pas moins que la machine, loin d’être réduite à une simple mécanique froidement efficace et purement scientifique, peut engendrer l’inspiration créatrice. L’imagination du savant et de l’artiste donne naissance à des machines qui, à leur tour, se font sources d’inspiration. Anne Sexton offre ainsi à sa machine à écrire un pouvoir créateur (« God is in your typewriter »). Étudier la machine implique également de repenser la coexistence entre fonctionnement et dysfonctionnement : là où une machine qui ne fonctionne plus devient inutile dans l’industrie, elle peut revêtir une force créatrice en art. La machine permet également de changer notre regard sur le monde grâce aux dispositifs optiques. Les appareils photo, caméras et miroirs créent l’illusion et transforment notre vision du réel, comme dans Alice Through the Looking-Glass de Lewis Caroll ou dans nombre de récits gothiques et fantastiques qui filtrent la réalité et permettent à l’œil d’adopter une nouvelle perspective (Milner).

L’opposition entre machine et création, entre sciences et arts, n’est qu’illusoire. L’interdépendance qui se dessine ici nous invite à repenser l’inspiration comme étroitement liée à la machine, qui non seulement permet techniquement la création littéraire et artistique, mais en est également bien souvent la source. Il s’agira d’étudier ces tensions entre invention et dépendance, entre maîtrise et méfiance, entre fascination et rejet, qui se révèlent cruciales dans la représentation de la machine dans la littérature et les arts.

 

Les approches de la littérature et des arts visuels anglophones puisant dans d’autres disciplines (philosophie, sociologie, histoire…) seront particulièrement appréciées. Les propositions de communication pourront explorer les pistes suivantes :

  • La machine comme objet de représentation littéraire et visuelle
  • Les rapports d’interdépendance entre machine et corps humain
  • La machine comme métaphore du pouvoir / la machine politique
  • La relation de la machine et des questions de genre
  • La machine comme double instrument de progrès et d’oppression
  • La machine et les avant-gardes
  • La machine théâtrale / la machine au théâtre
  • Le rôle des nouvelles technologies dans la littérature et les arts contemporains

 

Les propositions (300 mots maximum), en français ou en anglais, accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique devront être adressées à l’adresse e-mail suivante : laboratoire.ovale@gmail.com. Durée des communications : 20 minutes.

 

Date limite d’envoi des propositions : 25 mars 2019

Date de réponse : mi-avril 2019

 

 

Bibliographie:

 

Arendt, Hannah, La Condition de l’homme moderne (1958), trad. Georges Fradier, Paris : Calmann Levy, 2018.

Aristote, Problèmes Mécaniques, Paris : Les Belles Lettres, 2017.

Benjamin, Walter, The Work of Art in the Age of Mechanical Reproduction (1936), Londres : Penguins Books, 2008.

Berghaus, Günter, « Futurism and the Technological Imagination Poised Between Machine Cult and Machine Angst », Futurism and the Technological Imagination, éd. Günter Berghaus, Amsterdam : Rodopi, 2009, 1-40.

Besnier, Jean-Michel, Demain les posthumains : le futur a-t-il encore besoin de nous ?, Paris : Hachette pluriel, 2009.

Broeckmann, Andreas, Machine Art in the Twentieth-Century, Cambridge, Mass. : The MIT Press 2016.

Deleuze, Gilles et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe, Paris : Éditions de Minuit, 1972.

Descartes, René, Discours de la méthode (1637), Paris : Flammarion, 2000.

Haraway, Donna, « A Cyborg Manifesto: Science, Technology, and Socialist-Feminism in the Late Twentieth Century » (1985), Simians, Cyborgs and Women: The Reinvention of Nature, New York : Routlegde, 1991.

Haken, Hermann, Uno Svedinet Anders Karlqvist, The Machine as Metaphor and Tool, Berlin : Springer, 1993.

Haslanger, Andrea, « From Man-Machine to Woman Machine : Automata, Fiction, and Femininity in Dibdin’s Hannah Hewit and Burney’s Camilla », Modern Philology 111.4. (May 2014), 788-817.

Hayles,N. Katherine, How We Become Posthuman: Virtual Bodies in Cybernetics, Literature, and Informatics, Chicago : The U of Chicago P, 1999.

Ketabgian, Tamara, The Lives of Machines : The Industrial Imaginary in Victorian Literature and Culture, Ann Arbor : The U of Michigan P, 2011.

Krzywkowski, Isabelle, Machines à écrire : littérature et technologies du XIXe au XXIe siècle, Grenoble, Ellug, 2011.

Lévi-Strauss, Claude, La Pensée sauvage (1962), Paris : Pocket, 1990.

Milner, Max, La Fantasmagorie, Paris, PUF, 1982.

Orvell, Miles, After the Machine: Visual Arts and the Erasing of Cultural Boundaries, Jackson : UP of Mississipi, 1995.

Perloff, Marjorie, The Futurist Moment : Avant-Garde, Avant Guerre and the Language of Rupture, Chicago : The U of Chicago P, 1986.

Porush, David, The Soft Machine : Cybernetic Fiction (1984), New York, Taylor and Francis, 2018.

Serres, Michel, « Turner traduit Carnot », La Traduction. Hermes III, Éditions de Minuit, 1974.

Wiener, Norbert, Cybernetics: or Control and Communication in the Animal and the Machine(1948), Cambridge, Mass. : The MIT Press, 1965.

 

Contact:

laboratoire.ovale@gmail.com

http://www.vale.paris-sorbonne.fr/FR/ovale.php

http://ovale.hypotheses.org

 

 

Informations pratiques : 

 

–       La journée est ouverte à tous.

–       Le comité de sélection est composé de Omayyah Al-Shabab, Anouk Bottero et Diane Drouin, doctorantes et membres du bureau d’OVALE, ainsi que des Professeur.e.s Élisabeth Angel-Perez, Line Cottegnies et Frédéric Regard.

–       Une partie des communications fera l’objet d’une publication dans la revue en ligne de VALE Sillages Critiques.

–       La journée se déroulera à la Maison de la Recherche de Sorbonne Université (28 rue Serpente, 75006 Paris).

ENGLISH VERSION

Call For Papers

The Machine in Anglophone Arts and Literature

One-day Conference – May 28th, 2019

 One-day conference organised by the doctoral team OVALE

Research Unit VALE (EA 4085)

Faculté des Lettres de Sorbonne Université

 

Studying the machine within a literary context requires a dialogue between art and science. It is difficult to envision the machine outside of the context of scientific evolution, whether we think of the Renaissance and Da Vinci’s inventions and flying machines or the all-encompassing and powerful robots of the 21st century. According to Aristotle’s definition in Mechanical Problems, the machine is what enables us to defeat Nature to serve our own interests. From Turner’s paintings to Chaplin’s Modern Times, the machine has nurtured the imagination in anglophone arts and literature, despite the fact that the complex arrangement of gears is not something commonly associated to spontaneous artistic creativity. However, machines have durably and undoubtedly transformed the arts and their reception: printing, reproduction techniques, as well as typewriters and computers have broadened the access to serialized works of art. Sophisticated devices have driven cinema from the Silent Age to the “talkies”, while technicolour and special effects have given way to the most innovative cinematic creations.

First a symbol of modernity, the machine soon became synonymous with capitalist production and the necessity for constant optimization. The Industrial Revolution was pivotal in transforming the representation of machines both aesthetically as well as technically as both Dickens’s Hard Times and Whitman’s “To A Locomotive in Winter” clearly demonstrate. Celebrating industrial progress is also at the core of literary projects led by early 20th-century avant-gardes, such as Ezra Pound and his famous “Make it new!”. The machine also becomes an object of thought in Wyndham Lewis’ vorticist magazine, Blast. Marinetti’s Futurist Manifesto lauds the danger, speed and constant movement of mechanical inventions, which are as symbolic as they are instrumental to progress.

But along with this enduring fascination grows the fear of replacement and an irreversible dependency of man towards machines, especially when the latter surpass their inventors as in Mary Shelley’s Frankenstein: the monster’s made-up, fragmented body, analogous to the assembled elements of a mechanical structure, becomes an embodiment of that fear. The machine as a useful tool gives way to the intrusive machine, a mechanical body that threatens to come to life. The genre of science fiction attempts to come to terms with man’s own humanity. This leads us to question the very mechanisms of what Descartes describes as the reasoning body, as well as the Deleuzian conceptualisation of the body as a “desiring machine” (machine désirante). In the theatre, the conception of the body as automaton becomes the ideal actor’s body for Edward Gordon Craig who describes it as an “Über-marionnette”. The genre of dystopia, from Huxley’s Brave New World to Orwell’s Nineteen Eighty-Four, shows the implacable mechanics of political power, while technology becomes a means of surveillance and a totalitarian device of an oppressive, dehumanizing system. Current debates regarding the issue of artificial intelligence, cybernetics (Wiener, Porush), and robotics are at the core of the questions investigated by transhumanism and posthumanism (Hayles). While transhumanism explores the aspirations to a technologically improved human experience, posthumanism offers a more critical stance, highlighting the sense of threat emanating from increasingly dematerialized machines.

Nonetheless, far from reducing the machine to a cold, efficient and purely scientific contraption, many works of art and literature endow the machine with a creative potential that can become a source of artistic inspiration, not unlike Anne Sexton’s typewriter, which she endows with spontaneous, divine inspiration (“God is in your typewriter”). Discussing the machine from an aesthetic and literary perspective helps us rethink the coexistence of a functioning/dysfunctioning paradigm: if a dysfunctioning machine may be deemed useless for industrial purposes, art might redeem it by endowing it with creative value. Optic devices may even change the way we observe the world: cameras, much like mirrors, create illusions and transform the way we look at reality, as in Lewis Caroll’s Alice Through the Looking-Glass or many Gothic and fantastic narratives that filter reality and allow a new perspective (Milner).

To some extent, the preconception that opposes science to art and machine to creation might be just as illusory. The interdependency between these polarized fields invites us to think about artistic or literary inspiration as being closely linked to the machine: not only does the machine technically enable creation, but it can also be its source. It is particularly fruitful to study the dynamics between invention and dependency, fascination and rejection, mastering and fearing the machine: they prove crucial to the representation of the machine in arts and literature.

 

Papers that adopt an interdisciplinary approach (philosophy, history, sociology…) are more than welcome. Papers may explore (but are not limited to) the following themes:

  • Machine as an object of literary/aesthetic representation
  • Interdependence between the machine and the body
  • Machine as metaphor for power / the mechanics of political power
  • Machine in relation to gender studies
  • Machine as a dual tool for progress/oppression
  • Machine and literary/aesthetic avant-gardes
  • Theatre and the machine
  • The role of new technologies in literature and contemporary art

 

Abstracts of about 300 words, written in French or English, can be sent to the following email address, along with a short bio:  laboratoire.ovale@gmail.com. Papers should be 20-minute long.

Submission deadline: March 25th, 2019

Notification of acceptance by mid-April, 2019

Bibliography:

Arendt, Hannah, La Condition de l’homme moderne (1958), trad. Georges Fradier, Paris : Calmann Levy, 2018.

Aristote, Problèmes Mécaniques, Paris : Les Belles Lettres, 2017.

Benjamin, Walter, The Work of Art in the Age of Mechanical Reproduction (1936), Londres : Penguins Books, 2008.

Berghaus, Günter, « Futurism and the Technological Imagination Poised Between Machine Cult and Machine Angst », Futurism and the Technological Imagination, ed. Günter Berghaus, Amsterdam : Rodopi, 2009, 1-40.

Besnier, Jean-Michel, Demain les posthumains : le futur a-t-il encore besoin de nous ?, Paris : Hachette pluriel, 2009.

Broeckmann, Andreas, Machine Art in the Twentieth-Century, Cambridge, Mass. : The MIT Press 2016.

Deleuze, Gilles and Félix Guattari, L’Anti-Œdipe, Paris : Éditions de Minuit, 1972.

Descartes, René, Discours de la méthode (1637), Paris : Flammarion, 2000.

Haraway, Donna, « A Cyborg Manifesto: Science, Technology, and Socialist-Feminism in the Late Twentieth Century » (1985), Simians, Cyborgs and Women: The Reinvention of Nature, New York : Routlegde, 1991.

Haken, Hermann, Uno Svedin and Anders Karlqvist, The Machine as Metaphor and Tool, Berlin : Springer, 1993.

Haslanger, Andrea, « From Man-Machine to Woman Machine : Automata, Fiction, and Femininity in Dibdin’s Hannah Hewit and Burney’s Camilla », Modern Philology 111.4. (May 2014), 788-817.

Hayles, N. Katherine, How We Become Posthuman: Virtual Bodies in Cybernetics, Literature, and Informatics, Chicago : The U of Chicago P, 1999.

Ketabgian, Tamara, The Lives of Machines : The Industrial Imaginary in Victorian Literature and Culture, Ann Arbor : The U of Michigan P, 2011.

Krzywkowski, Isabelle, Machines à écrire : littérature et technologies du XIXe au XXIe siècle, Grenoble, Ellug, 2011.

Lévi-Strauss, Claude, La Pensée sauvage (1962), Paris : Pocket, 1990.

Milner, Max, La Fantasmagorie, Paris, PUF, 1982.

Orvell, Miles, After the Machine: Visual Arts and the Erasing of Cultural Boundaries, Jackson : UP of Mississipi, 1995.

Perloff, Marjorie, The Futurist Moment : Avant-Garde, Avant Guerre and the Language of Rupture, Chicago : The U of Chicago P, 1986.

Porush, David, The Soft Machine : Cybernetic Fiction (1984), New York, Taylor and Francis, 2018.

Serres, Michel, « Turner traduit Carnot », La Traduction. Hermes III, Éditions de Minuit, 1974.

Wiener, Norbert, Cybernetics: or Control and Communication in the Animal and the Machine (1948), Cambridge, Mass. : The MIT Press, 1965.

 

Contact information:

laboratoire.ovale@gmail.com

http://www.vale.paris-sorbonne.fr/FR/Page_OVALE.php

https://ovale.hypotheses.org

Practical information:

  • The conference is public.
  • The scientific committee is composed of Omayyah Al-Shabab, Anouk Bottero, and Diane Drouin, PhD candidates and members of the Board of OVALE, as well as of Professor Elisabeth Angel-Perez, Professor Line Cottegnies and Professor. Frédéric Regard.
  • Selected papers will be published in the online journal edited by VALE members, Sillages Critiques.
  • The conference will be held at the Maison de la Recherche of Sorbonne Université, in Paris (28, rue Serpente 75006).

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