24 avril 2020 Pour une histoire sensorielle de Lyon Maison des Sciences de l’Homme – Lyon / Saint-Étienne 14, Avenue Berthelot Lyon

 

 

 

Philadelphia had the musty scent of history. New Haven smelled of neglect. Baltimore smelled of brine, and Brooklyn of sun-warmed garbage.

But Princeton had no smell.

Chimamanda Ngozi Adichie, Americanah, 2013

 

 

La ville, espace de saturation sensorielle et laboratoire du vivre ensemble, est un des sujets d’étude privilégiés de l’histoire des sens, qui connaît actuellement une période d’essor. Prolongeant les avancées accomplies, notamment, par Alain Corbin (Corbin et Ory, 2016) dans le domaine de l’histoire des sensibilités, cette approche permet, par son caractère transversal et les problématiques qu’elle soulève, de renouveler l’histoire urbaine. Elle offre aussi une perspective historique susceptible de s’articuler aux pratiques actuelles de l’urbanisme, de manière à ancrer dans l’histoire longue les démarches théoriques et pratiques s’intéressant aux sens dans la ville tels que celles menées au sein de groupes de recherche comme le CRESSON ou d’agences d’urbanisme.

En s’appliquant à retrouver les traces de l’expérience polysensorielle de la ville et à en rendre compte, l’histoire des sens appréhende tantôt les éléments constants et spécifiques qui constituent les traits sensoriels distinctifs d’une ville, tantôt les changements qui l’affectent au fil des multiples transformations qu’elle a connues, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. En effet, si l’industrialisation et l’exode rural qui ont transformé le paysage urbain aux XVIIIe et XIXe siècle ainsi que la disponibilité des témoignages et des documents couvrant cette période en ont fait un terrain d’investigation privilégié pour l’histoire des sens dans la ville, d’autres époques restent cependant à explorer. En outre, l’histoire des sens permet également d’éclairer la façon dont les transformations urbaines ont été ressenties par différents groupes à différentes époques et d’interroger les imaginaires qu’elles ont suscités. Plusieurs ouvrages récents se sont attachés à l’étude de l’histoire d’une ville particulière (Paris, New-York, Londres, Grenoble, etc.) à travers les perceptions d’un sens isolé, comme l’odorat (Poiret, 1998 ; Kiechle, 2017 ; Park, 2018), l’ouïe (Boutin, 2015) ou la vue (Clayson, 2019). D’autres recherches ont conduit à identifier et à définir précisément les stimulations sensorielles de manière à élaborer des reconstitutions historiques (Gutton, 2000 ; Parfum de Nantes, Projet Bretez, etc.). Dans le prolongement de telles démarches et plus particulièrement de celle d’Olivier Balaÿ (2013), il s’agira pour nous d’envisager, sous l’angle des sollicitations sensorielles et de leurs réceptions, l’histoire de la ville de Lyon dont la gastronomie, les soieries et les éclairages semblent constituer une invitation aux sens.

Riche de son commerce marchand, la ville et les perceptions sensorielles qui lui sont associées ont évolué au gré des usages ainsi que des importations et exportations de denrées et de matériaux. Ce que la ville accueille (épices, essences, feux d’artifice, etc.), ce qu’elle produit et fabrique (soieries, confiseries, etc.), mais également ce qu’elle rejette (égouts, déchets, pollution) confronte les citadins à un paysage sensoriel dont les changements se font sentir suivant différentes échelles chronologiques variées, allant des heures du jour à la durée longue de l’industrialisation. Quelle que soit la période, la question des sens dans la ville reste étroitement liée à celle de la proximité : celle de l’habitat et de l’industrie, de la ville et de ses fleuves. Les sensorialités nous renseignent également sur la promiscuité entre les individus dans son rapport à la densité urbaine, selon les différents seuils de sensibilité de chacun, qui évoluent, eux aussi, selon les époques. Le rapprochement spatial des stimulations en milieu urbain qui provoque bien souvent un effet de condensation sensorielle souligne l’importance du facteur de l’intensité sensorielle et de sa perception en ville, qu’elle soit continuelle, par palier, ou encore par degré de saturation (Balaÿ et Faure, 1992). Cette supposée « surstimulation » des sens entraîne à son tour l’émergence d’un autre facteur, celui de l’hédonicité sensorielle, qui est également historiquement déterminé par la sensibilité de l’époque et amène des réactions et des réponses différentes de la part des individus ou des gestionnaires de la ville. La ville est-elle d’autant plus appréciée qu’elle s’adresse aux sens ou cette omniprésence des sens est-elle perçue comme une nuisance, source d’un désamour de l’urbanité ? Toutes les questions et les nuances qu’apporte la perspective de l’histoire des sens nécessitent le recours à des outils méthodologiques et à des sources variées. Le repérage, l’analyse, voire la reconstitution des traces sensorielles laissées par la ville dans les récits, les images, les documents issus du commerce et de l’industrie ou encore les procès-verbaux, etc. mettront en évidence l’apport des sens pour une meilleure compréhension d’une histoire urbaine.

 

Diverses perspectives pourront être envisagées, parmi lesquelles :

 

  • L’identité sensorielle propre à la ville de Lyon et aux villes en général ;
  • L’existence de stimulations sensorielles précises associées à certains quartiers, certaines industries, certains moments de l’année, certaines périodes historiques, etc. ;
  • L’influence des rapports sociaux sur les perceptions sensorielles urbaines ;
  • L’évolution spatiale, les déplacements et les parcours urbains à partir des sens ;
  • La réception de l’intensité des stimulations sensorielles urbaines, entre nuisances et plaisirs ;
  • L’archéologie sensorielle à travers les archives de la ville ;
  • Les points de vue distanciés sur la ville : récits de voyage, comparaison avec la campagne, etc. ;
  • Les lectures et cartographies de la ville par le prisme du sensible (soundscapes, smellscapes, etc.).

 

Les propositions de contribution (env. 300 mots) accompagnées d’une courte bio-bibliographie devront être adressées avant le 15 janvier 2020 à Rémi Digonnet (remi.digonnet@univ-st-etienne.fr), Mylène Pardoen (mylene.pardoen@cnrs.fr) et Érika Wicky (erika.wicky@univ-lyon2.fr). La réponse du comité scientifique parviendra aux auteurs des propositions avant le 31 janvier 2020.

 

 

Bibliographie indicative :

 

Baily Émeline, 2018, Oser la ville sensible, Nantes, Cosmografia.

 

Balaÿ Olivier, 2003, L’espace sonore de la ville de Lyon au XIXe siècle, À la croisée.

 

Balaÿ Olivier et Faure Olivier, 1992, Lyon au XIXe siècle, l’environnement sonore et la ville, Rapport du projet de recherche « Bruits et formes urbaines à Lyon ».

 

Barnes David S., 2006, The Great Stink of Paris and Nineteenth-Century Struggle against Filth and Germs, Baltimore, Johns Hopkins University Press.

 

Beck Robert, Krampl Ulrike et Retaillaud-Bajac Emmanuelle, (dirs.), 2013, Les cinq sens et la ville du Moyen-Âge à nos jours, Tours, Presses Universitaires François Rabelais.

 

Béligon Stéphanie et Digonnet Rémi, (dirs.), (à paraître 2019), Manifestations sensorielles des urbanités contemporaines, Bruxelles, Peter Lang.

 

Boutin Aimée, 2015, City of Noise : Sound and Nineteenth-Century Paris, University of Illinois Press.

 

Cassayre Aude (dir.), 2013, Parfum de Nantes, Éditions d’Orbestier.

 

Clayson Hollis, 2019, Illuminated Paris : Essays on Art and Lighting in the Belle Époque, The University of Chicago Press.

 

Corbin Alain et Ory Pascal (dirs), 2016, Une histoire des sens, Robert Lafont.

 

Ferrier Jacques, 2013, La possibilité d’une ville : les cinq sens et l’architecture, Arléa Éditions.

 

Füzesséry Stéphane, « Métropole, modernisation et expérience vécue : Berlin au regard du cinéma documentaire allemand dans les années vingt », Histoire urbaine, n°24, 2009, p. 71-96.

 

Guiu Claire, Faburel Guillaume, Mervant-Roux Marie-Madeleine, Torgue Henry, Woloszyn Philippe, (dirs.), 2015, Soundspaces : Espaces, expériences et politiques du sonore, Presses Universitaires de Rennes.

 

Gutton Jean-Pierre, 2000, Bruits et sons dans notre histoire. Essai sur la reconstitution du paysage sonore, Presses Universitaire de France.

 

Henshaw Victoria, 2014, Urban Smellscapes : Understanding and Designing City Smell Environments, Routledge.

 

Howes David et Marcoux Jean-Sébastien, (dirs.), 2006, « La culture sensible », Anthropologie et Sociétés, vol. 30, n° 3, p. 7-17.

 

Kiechle Melanie A., 2017, Smells Detectives : An Olfactory History of Nineteenth-Century Urban America, Seattle, University of Washington Press.

 

Lindner Christoph, (dir.), 2006, Urban Space and Cityscapes : Perspectives from Modern and Contemporary Culture, London and New York, Routledge.

 

Moncorgé Marie-Josèphe, 2008, Lyon 1555, capitale de la culture gourmande au XVIe siècle : Cuisine, confiture, diététique, cosmétique…, Éditions lyonnaises d’art et d’histoire.

 

Pallasmaa Juhani, 2012, The Eyes of the Skin. Architecture and the Senses, John Wiley & Sons Ltd.

 

Paquot Thierry, 2006, Des corps urbains. Sensibilités entre béton et bitume, Éditions Autrement.

 

Park Sun-Young, 2018, Ideals of the Body : Architecture, Urbanism, and Hygiene in Postrevolutionary Paris, Pittsburgh, Pittsburgh University Press.

 

Pichon Pascale et Herbert Fanny (dirs.), 2014, Atlas des espaces publics : Saint-Étienne, une ville laboratoire, Saint-Étienne, PUSE.

 

Poiret, Nathalie, 1998, Thèse de doctorat (EHESS), Des traces odorantes, ou une proposition cartographique des odeurs de Grenoble au cours de son histoire.

 

Simonnot Nathalie et Siret Daniel, 2014, « Héritage industriel et mémoire sensible : Observations sur la constitution d’un « patrimoine sensoriel », L’homme et la société, n°192.

 

Steward Jill et Cowan Alexander, (dirs.), 2007, The City and the Senses : Urban Culture Since 1500, Ashgate.

 

Zeller Olivier, 2017, « Les structurations de l’espace fécal à Lyon au XVIIIe siècle », Flux.

 

Comité scientifique :

 

Aimée Boutin (Florida State University)

Cécile Demoncept (Musée des tissus Lyon)

Sylvain Farge (Université Lyon 2)

Marie-Dominique Garnier (Université Paris 8)

Anna Riccio (Università di Foggia)

Nelly Valsangiacomo (Université de Lausanne)

 

 

Comité d’organisation :

 

Rémi Digonnet – Maître de conférences en linguistique anglaise. Université Jean Monnet – Saint-Étienne / CIEREC (remi.digonnet@univ-st-etienne.fr)

 

Mylène Pardoen – Archéologue du paysage sonore. Maison des Sciences de l’Homme de Lyon Saint-Etienne/USR 2005/CNRS – Lyon (mylene.pardoen@cnrs.fr)

 

Érika Wicky – Marie Sklodowska-Curie Fellow, Université Lumière Lyon / LARHRA (erika.wicky@univ-lyon2.fr)


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