CORPS ET TRADUCTION, CORPS EN TRADUCTION
(traduction et interprétation de conférence)
les 3 et 4 novembre 2016, Université Toulouse – Jean Jaurès
Organisé par l’IRPALL (Programme : Penser la traduction) et EMMA (Université Paul-Valéry Montpellier 3)
La traduction — notamment écrite — étant un métier discret, qui s’exerce dans les coulisses, les traducteurs sont rarement appelés à sortir sur l’avant-scène. On les dit même invisibles, si le travail est bien fait. Leur voix s’évertue à épouser celle d’un(e) autre, de l’auteur du texte d’origine, qu’elles ou ils ne doivent pas trahir. Dans le duo qui se forme, la voix du traducteur s’incarne dans le texte et, parfois, dans les paratextes, et ses traces sont difficiles mais pas impossibles à discerner. D’une certaine manière, on « regarde » la voix, mais le corps du traducteur ou de la traductrice, et parfois celui de l’interprète, reste caché. Alors que le débat sur l’invisibilité et la neutralité de ce dernier peut sembler dépassé aujourd’hui, il est encore difficile de faire accepter son rôle dans un trilogue où il ou elle prend en charge une activité de « coordination » qui lui permet non seulement de régler les problèmes d’ordre linguistique, mais aussi ceux de la communication entre les parties.
Quelles sont donc les traces qui reflètent le traducteur, comment s’exprime le corps de l’interprète dans la gestuelle qui est la sienne ? Contrairement à ce qu’on peut penser, l’effacement du traducteur et/ou de l’interprète n’est pas une condition indispensable à une bonne traduction. L’approche phénoménologique, qui aborde l’expérience du corps propre comme une manière particulière de se projeter et d’exister dans le monde, nous semble particulièrement féconde, car elle nous invite à penser au continuum entre réalité, langage et instance énonçante. Il nous semble indispensable, à ce stade, de tenir compte des apports de la sémiotique des instances énonçantes (Jean-Claude Coquet) et de la phénoménologie du langage, qui incite à poser la question des marques formelles du processus subjectivant, mais également celle des marques du processus expérientel.
Il reste que toute voix émane d’un corps. Une traduction s’écrit avec la main qui tient la plume ou les mains qui touchent le clavier d’un ordinateur. La lecture se fait avec les yeux, et parfois avec l’oreille. Les goûts, préférences, affects, émotions des traducteurs, ainsi que le désir (ou, comme disait Antoine Berman, « la pulsion ») de traduire, d’entrer dans une relation spéciale avec le texte, les mots, les idées d’un(e) autre et, finalement (et parfois à travers temps et espace), avec cette personne même, doit bien passer par le corps.
Le langage et le méta-langage de la traductologie abondent en mots et expressions qui présupposent l’existence d’un corps : angle de vue, perspective, positionnement, rapprochement, proximité, éloignement, distance, ou « deuil » — pour reprendre le terme de Paul Ricœur —, pour n’en citer que quelques-uns. La célèbre métaphore du mouvement de Friedrich Schleiermacher, amener le lecteur à l’auteur ou vice-versa, en est un autre exemple. Dans certains cas, la traduction n’agit-elle pas comme une transfusion sanguine ? Walter Benjamin parle du Fortleben (survie ou, plutôt, vie prolongée) que la traduction donne à l’original ; ce processus implique, inévitablement, une transformation. Selon Benjamin, le changement, le renouvellement, sont des caractéristiques du vivant — et ce qui vit a un corps.
L’objectif de ce colloque est donc de réfléchir sur les manières dont les traducteurs, traductrices et interprètes (en langues vocales et en langue des signes) laissent, volontairement ou à leurs insu, des traces du corps, dans leurs traductions. Parmi les axes à privilégier :
¨ le sujet à l’épreuve : approches phénoménologiques du corps du traducteur ou interprète dans la construction de leur identité, et les traces de l’expérience sensible dans le discours ;
¨ la coprésence du traducteur avec l’auteur et le texte qu’il ou elle traduit ;
¨ la relation émotionnelle et affective du traducteur avec le texte et l’écriture, avec l’auteur du texte d’origine, mais aussi avec le lecteur ;
¨ chaque langue, chaque culture et chaque individu engage une nouvelle conception et un nouvel imaginaire du corps. Quelles conséquences pour la traduction ?
¨ comment le corps s’inscrit-il dans l’écriture ? Un exemple de la réflexion à ce niveau peut s’appuyer sur les traductions-adaptations de l’anglais et de l’anglo-américain en français d’Antonin Artaud, lui qui voulait que l’âme devienne corps ;
¨ la traduction au défi de l’intime : le cas de l’autotraduction ou le dédoublement des voix comme autant de manifestations de l’intime et des identités ;
¨ l’expérience corporelle de l’enfance, les sensations et les émotions qui en découlent peuvent-elles se traduire dans une autre langue ? Certains auteurs bilingues, notamment issus de l’immigration, évoquent la difficulté de la transcription d’une expérience corporelle dans un idiome différent ;
¨ traduction et censure ou autocensure par rapport au corps ;
¨ l’interprétation de conférence en tant que forme de dédoublement, d’empathie particulière, de tentative de se mettre « dans la peau » de l’autre. La réflexion portera sur les similitudes et les différences du travail « en corps » de l’interprète en langue vocale et de l’interprète en langue des signes, et s’intéressera à la notion de « complex turns » (J. Napier) qui présuppose que la coopération entre le locuteur et les interprètes est fortement corrélée à la réussite de l’interprétation ;
¨ la mise en bouche des traductions lors de représentations théâtrales ou d’opéra : comment mesurer le type d’émotions suscitées chez un individu par la musique, la lecture et/ou la récitation d’un texte ? Un des axes de réflexion s’attachera à cerner l’effet obtenu grâce à l’oralité (« enchantement socialisateur », selon Albert Doja) et de ses manifestations cathartiques ;
¨ Antoine Berman nous parle de la « pulsion du traduire » : quelle est la langue des traducteurs pour parler de leurs rapports avec la traduction ? Se pose ici la question de la visée de la traduction qui, en plus d’une éthique, est une analytique. En effet, le traducteur doit « se mettre en analyse », son psychisme implique une opération scrutatrice de soi ;
¨ corps traduits : un grand nombre de locutions, de métaphores lexicalisées et d’expressions figées désignent le corps. Une étude de traductions et d’adaptations illustrant les enjeux de la traduction (au sens large) du ou des corps peut être proposée ;
¨ la thématisation du traducteur et interprète en littérature et au cinéma : son image, la représentation de ses relations avec l’auteur source ainsi qu’avec le lecteur ou client.
Veuillez transmettre un résumé de votre communication (entre 400 et 500 mots) en français ou en anglais, accompagné d’une notice biobibliographique (80-100 mots environ) aux trois organisatrices, Solange Hibbs-Lissorgues (solange.hibbs@wanadoo.fr), Adriana Şerban (adriana.serban@univ-montp3.fr) et Nathalie Vincent-Arnaud (nathalie.vincent-arnaud@univ-tlse2.fr), avant le 31 mai 2016. Avis d’acceptation avant le 30 juin.
Une sélection des travaux sera publiée.
Langues du colloque
Français et anglais
Conférencière plénière
Nicole Côté — Université de Sherbrooke
Comité scientifique
Larisa Cercel — Universität des Saarlandes
Nicole Côté — Université de Sherbrooke
Brigitte Garcia — Université Paris 8
Florence Lautel-Ribstein — Université Paris Ouest Nanterre
Isabelle Nières-Chevrel — Université Rennes 2
Organisatrices
Solange Hibbs-Lissorgues — Université Toulouse – Jean Jaurès
Adriana Şerban — EMMA, Université Paul-Valéry Montpellier 3
Nathalie Vincent-Arnaud — Université Toulouse – Jean Jaurès
Lieu du colloque
Université Toulouse – Jean Jaurès
Frais d’inscription
Avant le 15 septembre : 40 euros. Repas de soir du colloque (facultatif) : 35 euros.
Après le 15 septembre : 60 euros. Clôture des inscriptions : le 15 octobre.
Étudiant, retraité, demandeur d’emploi : 20 euros (avant le 15 septembre). Repas de soir du colloque (facultatif) : 35 euros.
Call for papers
THE BODY AND TRANSLATION, THE BODY IN TRANSLATION
(translation and conference interpreting)
3 and 4 November 2016, Université Toulouse – Jean Jaurès
Organised by IRPALL (Programme: Penser la traduction) and EMMA (Paul Valéry University, Montpellier)
Translation, especially in its written form, takes place backstage. Translators are rarely in the spotlight, and easily become invisible if they have done their work well. Their voice marries that of another, of the author they are translating, whom they must not betray. In the author-translator duet, the translator’s voice takes flesh in the text and, sometimes, paratexts; its traces are difficult but not impossible to discern. In a sense, the reader ‘sees’ the voice, but the body of the translator, and sometimes that of the interpreter, is hidden from view. While the debate surrounding the latter’s invisibility and neutrality may seem today a thing of the past, interpreters still struggle to be accepted as full participants in a three-way communication process in which they assume a coordinating role, since they attend not only to the linguistic dimension but also have to mediate between the parties.
What are, then, the traces left by the translator in written texts, and how does the interpreter’s body express itself, for example through gestures? Contrary to what one may think, the translator’s or interpreter’s attempt to make themselves invisible is not a precondition for good translation. The phenomenological approach, centred on the experience of one’s body as a means of projecting oneself, of existing in the world, appears to be particularly relevant, as it invites us to reflect on the continuum between reality, language, and the speaker. Indeed, it is impossible, at this stage, to ignore the potential of discourse semiotics (Jean-Claude Coquet) and of the phenomenology of language to throw light on the formals marks of the subjective process, as well as those of the experiental process.
Every voice originates from a body. Translations are written with the hand that holds the pen, or the hands typing on a computer’s keyboard. We read with our eyes, and sometimes with our ear. The tastes, preferences, affects, and emotions of the translator, as well as their desire (or, in Antoine Berman’s words, the “drive”) to translate, to enter into a special relationship with the text, words, ideas of another person and, in a sense, with this very person (sometimes across time and space), is inevitably mediated by the body.
The language and metalanguage of translation studies abound in words and expressions which imply the existence of a body: point of view, perspective, positioning, proximity, distance, to mention only a few. Paul Ricœur used the word “mourning” in relation to translation. Friedrich Schleiermacher’s famous metaphor of movement, i.e. bringing the reader to the author or the reverse, is another example. And doesn’t translation function, in certain cases, as a blood transfusion? Walter Benjamin insisted on the Fortleben (survival or, more accurately, continued life) that translation gives the original; this involves, inevitably, transformation. According to Benjamin, change and renewal are characteristics of the living, and what lives has a body.
The aim of the conference is to reflect on the different ways in which translators and interpreters (in spoken languages and sign languages) leave traces of their body in their translations, deliberately or not.
We invite contributions on the following topics (the list is not exhaustive):
¨ the translator as subject: phenomenological approaches to the translator’s or interpreter’s body as a determining factor in identity construction, and the discursive traces of their sensory experience;
¨ the co-presence of the translator with the author of the text they are translating;
¨ the translator’s emotional and affective relationship with the text, its author, and with the reader;
¨ each language, culture, and individual relate to specific concepts and images of the body. Which are the consequences, for translation?
¨ how is the body inscribed in a person’s writing? Antonin Artaud’s translations-adaptations into French of English-speaking authors are an interesting case of the “soul becoming body” (the words belong to Artaud himself);
¨ translation and the intimate: in the case of self-translation, the doubling of voices makes the intimate manifest, and lays bare aspects of identity;
¨ can bodily experience in early life, along with the sensations and emotions it triggers, be translated into another language? A number of bilingual authors, especially those who had to immigrate to a foreign country, mention their difficulties is rendering bodily experiences in a language that is not their mother tongue;
¨ translation and censorship or self-censorship in relation to the body;
¨ conference interpreting as a form of doubling, of special empathy. It would be particularly interesting to examine the similarities and differences between the ways in which interpreters in spoken languages and in sign languages use their bodies, focusing on the notion of “complex turns” (Jemina Napier), which puts the emphasis on collaboration;
¨ performing translations for opera and the theatre. Possible topics include the emotions triggered in the audience by the combination of music and the spoken, translated word, or the effect of orality (“enchantement socialisateur”, in Albert Doja’s words) and its cathartic role;
¨ Antoine Berman wrote about the “drive to translate”: how do translators speak about translation? The question here is not only one of ethics, but also of self-analysis;
¨ translated bodies: languages usually contain a large number of phrases, set metaphors, and expressions which refer to the body. We welcome analyses of translations or adaptations, which illustrate translation challenges linked to translating (in a broad sense of the word) the body;
¨ representations of the translator and of the interpreter in literature or film: his or her image and the relationship with the author they are translating, as well as with the reader or client.
Please send your abstract (between 400 and 500 words) in English or in French, accompanied by your bionote (80-100 words) to the three organisers, Solange Hibbs-Lissorgues (solange.hibbs@wanadoo.fr), Adriana Şerban (adriana.serban@univ-montp3.fr) and Nathalie Vincent-Arnaud (nathalie.vincent-arnaud@univ-tlse2.fr), before 31 May 2016. Notification of acceptance: before 30 June.
A selection of papers will be published after the conference.
Languages of the conference
English and French
Plenary speaker
Nicole Côté — Université de Sherbrooke
Conference advisory panel
Larisa Cercel — Universität des Saarlandes
Isabelle Nières-Chevrel — Université Rennes 2
Nicole Côté — Université de Sherbrooke
Brigitte Garcia — Université Paris 8
Florence Lautel-Ribstein — Université Paris Ouest Nanterre
Organisers
Solange Hibbs-Lissorgues — Université Toulouse – Jean Jaurès
Adriana Şerban — EMMA, Université Paul-Valéry Montpellier 3
Nathalie Vincent-Arnaud — Université Toulouse – Jean Jaurès
Venue
Université Toulouse – Jean Jaurès
Registration fees
Before 15 September: 40 euros. Conference dinner (optional): 35 euros.
After 15 September: 60 euros. Registration closes on 15 October.
Student, retired person, unemployed person: 20 euros (before 15 September). Conference dinner (optional): 35 euros.