Journée d’étude :
La journée d’étude a pour objet le recueil Transformations[1] dans lequel Anne Sexton se réapproprie 17 contes des Grimm, et pour angle d’attaque la question du décentrement[2].
Anne Sexton, qui écrit dans les années 1960/70, se présente comme une « sorcière », soit comme une femme stigmatisée pour avoir pris les chemins de traverse, hors des normes sociales par son comportement et hors des normes humaines par sa folie (elle se dit « mère des fous »). Si, en tant que telle, elle s’attache à réécrire à la lumière de ses propres obsessions et douleurs certains contes des Grimm, c’est qu’elle perçoit un « message inconscient » lui signifiant qu’elle a quelque chose à en dire[3]. Elle y retrouve de fait, concentrés et multiformes, un ensemble de semblables vulnérables parce que frappés d’un défaut d’alignement, conduits et maintenus à la lisière ou qui s’y retranchent volontairement, exclus du bonheur ou de la société et de l’attention des autres, qui font tous écho à sa propre réalité et trouvent systématiquement à se réincarner, via des instantanés sociologiques, dans le contexte culturel, politique et idéologique de l’Amérique de son époque, où l’un des plus grands handicaps est bien d’être femme. Les personnages « en déficit » des Grimm, quels qu’ils soient, voient leur histoire connectée à celle de contemporains et donc bien souvent réorientée : les inclusions sociales (le retour au centre) prévues à la fin du conte par les Grimm sont à plusieurs reprises remises en cause par Anne Sexton. Se rencontrent dans le recueil les figures des Grimm et leur alter ego contemporain : des enfants perdus par la mère dans la forêt excentrée où l’on ne peut s’orienter, des jeunes filles exclues de la vie familiale, victimes d’abus sexuels ou plus généralement de la tare qu’est leur trop grande beauté de poupée en porcelaine, de jeunes ou moins jeunes filles fugueuses pourchassées, réprimées dans leurs élans, rendues folles ou droguées ; des mères anthropophages, des pères incestueux, des déshérités, des « freaks », des « déficients d’une manière ou d’une autre, estropiés d’une manière ou d’une autre », « enfants arriérés, garçons au pied bot », « bébés thalidomide », insomniaques, paralytiques, dépressifs, alcooliques, amnésiques, pauvres sans ressources, fous portant la camisole, soumis aux électrochocs ou traités avec de la Thorazine, nains asexués « en totale capilotade »… On a là une lecture neuve et incisive des Grimm qui se double d’une recontextualisation dans l’histoire personnelle de l’auteur et dans celle de la société américaine d’il y a cinquante ans, dont l’ordre moral ne cesse d’être interrogé. Comme le note Jack Zypes :
If one analyzes Sexton’s poems […] carefully, it becomes readily apparent that [she] had fully incorporated the canonical tales into her mind and body, and I mean this in a literal sense. [She] took these tales and made them part of [her] life, felt them, sensed them, digested them, and re-generated them to comment politically on the situation of women in her time and on the struggles between the sexes. [She] appropriated and transformed the canonical tales for herself and her time.[4]
L’on pourrait encore citer la remarque de Elisabeth Bronfen[5] :
Anne resuscitates the dead texts of the past only to call our attention to the rats that lurk in the intimate kernel of fairy-tale fortune.
On souhaiterait qu’autour du recueil et de la thématique choisie les communications adoptent une perspective comparatiste, du conte-source des Grimm, référence indispensable, au conte réapproprié/réinstancié (perspective rarement adoptée dans les études américaines du recueil) et privilégient une approche socio-poétique ou féministe. Ce faisant, il conviendrait d’interroger les critères qui ont présidé au choix des 17 contes retenus (parmi les 200 que comptent les Kinder- und Hausmärchen[6]), d’étudier ce que l’auteur conserve des contes retenus, ce qu’elle élimine, ce qu’elle modifie et pourquoi. Il s’agirait aussi d’explorer les manières dont l’auteur, selon l’expression de Jack Zipes, « works through » les contes, comment elle y lit (en très grande lectrice perspicace) ce qui s’y cache au centre et comment les contes en retour lui donnent à lire ce qui se cache en son centre et au cœur de son environnement social. Double incorporation et double retour au centre dans un jeu de miroir à deux faces.
1 Anne Sexton, Transformations, Boston, New York, Mariner Books edition, 1971.
2 Axe de recherche du CELIS (Université Clermont Auvergne) dans le plan quinquennal 2020-2025.
3 Dans un entretien avec Al Poulin pour American Poets, rapporté dans Steven E. Colburn (ed.), No Evil Star, Selected Essays, Interviews, and Prose, Anne Sexton, University of Michigan Press, 1985, p. 145.
4 Jack Zipes, Relentless Progress, New York and London, Routledge, 2009, p. 126.
5 Elisabeth Bronfen, The Knotted Subject Hysteria and Its Discontents, Princeton Legacy Library, Princeton, 1998, p. 307
6 Traduction française de référence : Natacha Rimasson-Fertin, Contes pour les enfants et la maison, Paris, José Corti, 2009 (2 tomes)
Comité scientifique:
Catherine Tauveron, professeur émérite en littérature française, Université de Bretagne Occidentale, associée au CELIS, Université Clermont Auvergne
Pascale Auraix-Jonchière, professeur en littérature française, membre du CELIS, Université Clermont Auvergne
Nicole Ollier, émérite en littérature américaine, membre de CLIMAS, Université Bordeaux Montaigne
Patricia Godi, Maître de conférences HDR en littérature américaine, membre du CELIS, Université Clermont Auvergne
Les communications ne devront pas dépasser 30 minutes. Les propositions, ainsi qu’une courte bio-bibliographie, sont à adresser à Catherine Tauveron (ctauveron@orange.fr) et Patricia Godi (patriciagodi@orange.fr ) avant le 15 avril 2020.
Notification de l’acceptation des propositions le 15 mai 2020.