CONTACTS AUX FRONTIERES DANS L’ESPACE ANGLOPHONE
EA2325 SEARCH de l’Université de Strasbourg, ‘Savoirs dans l’espace anglophone : Représentations, culture, histoire’, organise un colloque sur la problématique de la frontière dans le monde anglophone les 18 et 19 novembre 2016.
Le fait frontalier, comme enjeu de pouvoir et marqueur d’identité, est au centre des préoccupations actuelles du monde anglophone : le Brexit, le référendum écossais de 2014, la jungle de Calais ou le Trump Wall. Ce colloque se propose d’analyser le concept de frontière en tant qu’il organise l’espace des relations de contact : les lignes de contacts, les lignes de partage, et les zones de l’entre-deux. Afin d’examiner la façon dont le concept s’incarne dans les contextes anglophones, seront explorées les définitions théoriques de la frontière ainsi que les appréhensions philosophique, politique et esthétique qui en sont faites.
Comme en atteste l’histoire des frontières, « tracer des frontières » c’est ordonner le monde, et ainsi lui donner du sens. Que l’on conçoive la frontière comme limite, borne, marge, confins ou lisière, elle exprime des distinctions matérielles, tangibles ou symboliques, entre un dedans et un dehors, le connu et l’inconnu, le sacré et le profane.
De l’époque romaine, avec la construction du mur d’Hadrien, au Moyen Age, les délimitations territoriales ont toujours été diverses et mouvantes, et ont constamment été remises en cause par l’essor du commerce et des voies de communication. Bien que la constitution des Etats modernes européens évoque un mouvement inverse vers une plus grande rigidité des frontières, on revient aujourd’hui sur les définitions fixistes de ces frontières, pour mettre l’accent sur leur caractère contingent.
La contestation des frontières figure au centre de l’histoire de l’Empire britannique et du processus de décolonisation qui définit, à son tour, de nouvelles entités territoriales restées à ce jour sources de conflit. La partition de l’Irlande en 1921 (qui a précédé d’autres partitions dans l’histoire du monde anglophone) et les divisions très marquées qui en résultent en Irlande du Nord entre les communautés nationalistes/catholiques et unionistes/protestantes constituent également un exemple frappant de ces contestations. Aux Etats-Unis, la frontière, utilisée comme un outil au service d’un projet impérialiste, cède la place, en réaction à la Frontier Thesis de F. J. Turner, à une nouvelle histoire de l’Ouest qui témoigne d’un processus de réécriture, de renégociation et de réappropriation de la frontière.
De façon récurrente aujourd’hui, les interprétations essentialistes de la frontière sont remises en cause. Ainsi, la frontière n’est plus conçue comme ‘naturelle’, mais comme le produit d’une série de relations culturelles, économiques, guerrières et politiques.
Dans l’histoire de la littérature anglophone, la frontière, en vertu même de son caractère insaisissable, s’est révélée indispensable. Comme le montre l’histoire du livre, la notion de frontière s’avère cruciale pour comprendre l’évolution de la codification des œuvres, des genres, ainsi que des dispositifs éditoriaux de l’objet-livre. La frontière est aussi au cœur de plusieurs genres et approches esthétiques. Alors qu’elles sous-tendent implicitement la tradition du récit de voyage, les frontières abondent dans des genres aussi différents que le roman réaliste, la littérature chevaleresque du Moyen Age, ou encore le roman gothique : ce sont les frontières entre folie et raison, corps et esprit, individu et société qui sont à la fois source et incarnation de l’instabilité. On ne saurait, au demeurant, ignorer le domaine postcolonial où les écritures migrantes, diasporiques, hybrides ou ethniques problématisent précisément l’espace de la liminalité entre cultures ainsi que la cartographie identitaire. Tout en se définissant au-delà des frontières, la littérature postmoderne reste marquée par les tensions entre forme et informe, flux et fixité.
Dans le domaine de l’art, différentes pratiques se définissent en fonction de frontières et d’espaces de représentation spécifiques (on pense aux hiérarchies génériques établies par les académies des beaux-arts et à la notion de “spécificité du médium artistique” défendue par le critique Clement Greenberg). Ces frontières artistiques, qui constituent autant de démarcations génériques, mettent différentes stratégies de transgression et de mélange hybride en œuvre dans les pratiques de la deuxième moitié du 20e siècle. Elles suscitent le désir de repousser la limite, d’ouvrir le cadre, et de supprimer la frontière entre l’œuvre et le visible qui l’entoure (on pense au Land Art, au Street Art, mais aus si aux espaces de représentation immersifs).
La frontière constitue donc un enjeu de définition épistémologique. Les propositions de communication pourront s’articuler autour de certaines des problématiques suivantes :
- Visibilité des frontières ?
Relire la frontière, c’est interroger sa visibilité réelle, son existence en tant que telle, sa forme. Cela suppose d’étudier ses modes d’inscription matérielle dans l’espace, qu’ils soient envisagés sous l’angle de la mobilité ou de l’immobilité, ou encore du flexible et de l’inflexible. Il s’agira aussi de révéler l’existence de frontières moins visibles, ainsi que les tensions entre les frontières singulières qui délimitent le territoire et les frontières multiples, invisibles, précaires, oubliées, imaginaires. On peut, en effet, se demander à quel point le phénomène de globalisation efface l’existence des frontières.
Tant la littérature que les arts visuels et musicaux sont traversés par les questions de forme, de genre et de mode. On se demandera ce qui clôture un texte, une œuvre. Est-ce sa nature esthétique, catégorique, formelle, conceptuelle, voire idéologique ? La dimension politique de cette question se traduira par une réflexion sur les rôles joués par les nombreuses instances servant à légitimer la littérature (les institutions, la critique, l’école, l’importance du ‘canon’, l’édition, les anthologies).
- Usages et expériences de la frontière
Interroger les usages et les expériences de la frontière, c’est bousculer les approches fixistes du territoire et de la géographie politique ou culturelle, remettre en cause l’idée que la frontière est tangible et formelle, et montrer qu’il n’y a pas de cartographie simple des frontières, ni de lecture univoque, mais bien des visions et vécus multiples.
La frontière, en tant que processus, peut être pensée à la fois comme le produit de relations historiques, sociales et politiques et comme quelque chose qui produit un tissu de relations, de représentations et d’images mentales. Le fonctionnement discursif de la frontière (frontières sociales comprises), pourra être analysé sous l’angle de rapports dynamiques entre intérieur et extérieur, connu et inconnu, géographie imaginaire et géographie réelle, forme et informe, flux et fixité, absence et présence. Paradoxalement, et en dépit de l’apparente absence de frontière, les représentations esthétiques de la marge, du seuil ou de la séparation peuvent être envisagées comme des usages créatifs de la notion de frontière.
- Dualité et dynamique de la frontière
Les tensions inhérentes au concept de frontière qui expriment à la fois le barrage et le passage, la limite et la continuité, la séparation et l’opposition, l’interdiction et la transgression, le local et le planétaire, nous incitent à repenser la double fonction de la frontière comme principe tout à la fois d’identification et de rejet de l’autre. A l’ère du post-national, dans un monde où les identités se définissent comme transnationales ou hybrides, les liens supposés entre frontière étatique et identité perdent de leur sens.
Dans les domaines de la littérature et des arts, ce sera l’occasion de revenir sur la dualité inhérente à la conscience humaine : bien et mal, humain et inhumain, corps et psyché, soi et l’autre. La dynamique des frontières permet de questionner les relations entre texte et paratexte, entre une œuvre et ses limites matérielles, entre la scène et le hors-scène. En transgressant et transcendant ces oppositions, l’art enrichit des systèmes cartographiques trop simples pour parler de la complexité du monde.
Les propositions de communications, en anglais ou en français (300 mots) ainsi qu’une courte présentation biographique (100 mots), sont à envoyer à Ciaran Ross et Gwen Cressman pour le 15 juin 2016 : ross@unistra.fr, cressman@unistra.fr
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Borders and areas of contact in Anglophone cultures, literatures, and art
Borders, standing as they do as markers of identity and high stakes of power, constitute a dominating issue in contemporary societies, as exemplified by Brexit, the Scottish referendum of 2014, the jungle at Calais or the Trump Wall. The conference sets out to look at the concept of border as a space of relations that involves lines of contact, lines of division and, overlapping these, an undetermined zone of non-contact or in-betweeness. Theoretical definitions and apprehensions of the border – philosophical, political and aesthetic – will be probed to examine how this concept is and has been embodied in different Anglophone contexts.
As the history of borders testifies, ‘bordering’ the world is conventionally seen as a way of attributing it sense and meaning. Whether one conceives the border as limit, margin, edge, boundary or frontier, it always enacts material, tangible or symbolic distinctions between inside and outside, sameness and otherness, the sacred and the secular.
From Roman times and the construction of Hadrian’s Wall to the English Middle Ages, fluctuating territorial divisions were established and challenged by trade and channels of communication. The constitution of centralized States in Europe during the Renaissance and the Early Modern period might suggest the emergence of more essentialist conceptions of borders, but these are today recurrently questioned, with their contingency being emphasized.
Contested borders are also central to the history of the British Empire and decolonization, in the process of which new territorial entities were defined, to remain, in some cases, significant sources of conflict to this day. The partition of Ireland in 1921 (which preceded other partitions in the English-speaking world) and the very vivid divides that still persist today in Northern Ireland between the nationalist/Catholic and unionist/Protestant communities are equally a prime example of such contestations. In the U.S.A., the “Frontier” was used as a conceptual tool to push an imperial project but a new history of the West has emerged as a reaction to F.J. Turner’s Frontier Thesis, showing that the border has been the object of rewritings, renegotiations and re-appropriations.
Today, the border is no longer conceived as a ‘natural’ entity but rather as the product of a series of cultural, economic, military and political relations.
In the history of Anglophone literature, the border, probably due to its elusiveness, has proven to be an essential concept. As book history shows, the notion of border is related to the codification of works, to the history of genres and to editorial processes. The border is also a central feature of different literary aesthetics. While implicitly part and parcel of the travel book tradition, borders abound in the realist novel and in domains as diverse as medieval literature and gothic fiction: borders, between madness and reason, body and mind, individual and society, are often the essential source and space of instability.
Postcolonialism is another relevant literary domain, a tradition in which migrant, diasporic, hybrid and ethnic writings address the question of liminality between cultures and the status of cartography as identity marker. Equally essential are the critical tensions one finds in postmodern literature between the border and the borderless, form and formlessness, flux and fixity.
In artistic practices, there have been many attempts at attributing specific set boundaries to art and to its space of representation (two examples of this being the hierarchy of genres established by academies of fine art and Clement Greenberg’s concept of ‘medium specificity’). Functioning as spatial and generic demarcations, such artistic “borders” can create a desire for transgression and hybridity. Such a desire opens up the frame and effaces the border or boundary between the work and its surrounding visible field (for instance Land Art and Street Art, as well as immersive spaces of representation).
The border is therefore a powerfully epistemological issue. We invite papers within the following critical frameworks:
- Borders and their visibility
To reread borders is to question their actual visibility, their real existence as such and the form they take. It supposes studying the different ways borders are materially inscribed in space, whether they are mobile or immobile, flexible or inflexible. It will also consist of bringing to light ‘invisible’ borders, of uncovering tensions between the singular ‘real’ border that marks off a single territory and the multiplicity of other borders, be they invisible, imaginary, forgotten or precarious. Indeed, one may wonder the extent to which the phenomenon of globalization has effaced the existence of borders.
The question of visibility equally runs through literature, the arts and music, where form, genre and mode are major concerns. How does a text achieve or operate closure? Is it a question of aesthetics, structure, form, conceptuality or ideology? The political dimension of this question may also be reflected upon. This finds expression in and through the various modes of legitimation and valorization established by authorities and public bodies (institutions, education, publishers, criticism, the canon, anthologies).
- The uses and experiences of the border
Exploring the uses and the experiences of the border implies taking to task approaches that privilege the unchangeable or ‘inviolable’ nature of territories and of cultural or political geography at large. It also involves challenging the notion that borders are tangible and formal, that they come with a simple cartography and can be ‘read’ unequivocally.
Seen as ‘process’, the border can be considered as being both the product of historical, social and political relations and the producer of a network of relations, representations and mental images. To analyze the discursive functioning of the border in literature and the arts (social borders included), focus will be placed on critical relations between interior and exterior, the known and the unknown, geography real and imaginary, form and formlessness, flux and fixity, absence and presence. Paradoxically, despite their ‘borderless’ appearance, aesthetic representations of margins, thresholds and separation might be read as a creative re-use of borders.
- The border’s dualities and dynamics
The tensions inherent in the concept of the border that express both barrier and movement, separation and opposition, interdiction and transgression, the local and the planetary, incite one to rethink the border’s double function of either identification with or rejection of the other. Since the postnationalist era, where identities are being defined more in transnational or hybrid terms, the presumed ties between state borders and national identity seem to have lost their meaning.
As regards literature and the arts, the concept of border provides the opportunity to re-examine the duality inherent in human consciousness: good and evil, human and inhuman, body and mind, self and other …. The dynamics of the border also questions relations between text and para-text, a work and its material boundaries, the stage and the off-stage. Art often oversteps and transcends these oppositions, making simple maps complex.
Please send an abstract (max. 300 words) either in French or in English, and a short biographical note (max. 100 words) to both Ciaran Ross (ross@unistra.fr) and Gwen Cressman (cressman@unistra.fr) by June 15th, 2016.
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