Organisé par :
Culture et religion dans les pays anglophones (CRPA)
Avec le soutien des laboratoires suivants :
CREA (Paris Nanterre) ; Histoire et Dynamiques des Espaces Anglophones (Sorbonne Université) ; PHARE (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) ; TransCrit (Université Paris 8).
Lieu :
Salle du 6e, Maison des Sciences Économiques de l’Université Paris 1, 106 Bd de l’Hôpital, Paris 13e
Conférenciers pléniers :
Kirsten Fischer (University of Minnesota) & Nicolas Slee (The Queen’s Foundation, Birmingham).
Date limite d’envoi des propositions (500 mots ainsi qu’un CV): 30 septembre 2018.
Propositions à envoyer à nathalie.caron@paris-sorbonne.fr & remy.bethmont@univ-paris8.fr
Penser librement en religion (English below)
Dans Discourse of free–thinking, occasion’d by the rise and growth of a sect call’d Free-Thinkers publié en 1713, l’Anglais Anthony Collins défendait le droit de penser librement (« the right to think freely ») qui seul, affirmait-il, permettait de connaître la vérité. Collins remettait par ailleurs en question le caractère probant des prophéties, qui, selon lui, ne fournissaient pas la preuve que Jésus était le Messie. Réagissant à la publication, le théologien anglican Benjamin Ibbot déclara : « Mais l’intention de la plûpart de ceux qui se prévalent de la liberté de penser, ne laisse pas d’être suspecte. Au lieu d’examiner toutes choses pour retenir ce qui est bon, il paroît que leur vûe est de penser librement, ou pour ne rien croire, ou pour s’acquérir le droit de vivre avec licence » (Benjamin Ibbot, La vraie idée de l’usage que l’on doit faire du jugement particulier ; ou de la liberté de penser, 1713). La réaction du théologien est emblématique d’un état d’esprit : en Grande-Bretagne au tout début du XVIIIe siècle, alors que se développait ce qui était déjà appelé depuis la fin du siècle précédent « la libre pensée », c’est sous le régime du soupçon qu’était placée la tentative de penser librement en religion, comme s’il ne pouvait jamais s’agir que d’une stratégie de dissimulation de cette forme de libertinage intellectuel que serait l’athéisme, ou du libertinage tout court.
On retrouve la corrélation entre libre pensée et sexualité dans la plupart des attaques contre les grands « infidèles » : ainsi de Thomas Paine, l’auteur de The Age of Reason, dont ses détracteurs disaient qu’il était impuissant, ou encore de la libre penseuse féministe Frances Wright, Écossaise devenue citoyenne américaine, fondatrice avec Robert Dale Owen du magazine The Free Enquirer, que l’on appelait la « grande prostituée rousse ».
Il est remarquable que l’expression « libre pensée » se passe de précision : la libre pensée s’énonce comme étant d’emblée une pensée à l’égard de la religion, et plus précisément contre la religion, voire à l’écart de la religion. Il est tout aussi remarquable que l’expression sous-entende une absence de liberté au sein des religions instituées. La liberté de penser, toutefois, ne s’exerce pas uniquement au sujet des dogmes et du clergé, ou contre eux. Elle n’implique pas toujours l’anticléricalisme. Les institutions elles-mêmes fabriquent en leur sein, avec plus ou moins de libéralité, des espaces de liberté pour l’expression de la pensée religieuse. Ce fut le cas de l’Église médiévale, qui, loin de n’avoir produit que soumission religieuse comme le voudrait sa légende noire, a créé les conditions de l’individualisation comme de l’apparition de formes originales de vie spirituelle. Ou encore de la Réforme qui a introduit le concept de libre examen. Penser librement en religion ne consisterait donc pas seulement à penser contre la religion ou en dehors de la religion, mais aussi à penser avec la religion.
Car les traditions religieuses et leurs textes fondateurs fournissent aux croyants des ressources intellectuelles parfois insoupçonnées qui permettent aux fidèles d’introduire du jeu dans la structure religieuse et de mettre ainsi en mouvement leurs catégories. Cela conduit à penser autrement le rapport au religieux ou au divin, mais aussi à poser un ensemble de questions politiques et sociales qui, sinon, demeurent impensables. Deux exemples de ce processus sont la théologie queer qui a fait son apparition de manière plus ou moins significative au sein des monothéismes, et les féminismes chrétiens, juifs et islamiques qui reposent sur une lecture non patriarcale des textes sacrés et plus généralement de la tradition religieuse.
L’objet du colloque sera de réfléchir à une inversion de la charge du soupçon et de sortir du binarisme dans lequel le débat sur la « libre pensée » a trop souvent été enfermé, afin de porter un regard nuancé sur une réalité plus complexe que ce qu’en donnent à croire les raccourcis polémiques. La notion de « liberté » sera interrogée dans ses fondements théologiques et ecclésiaux. Liberté de penser en religion et liberté religieuse seront distinguées, comme le seront, d’une part, libre pensée et pensée religieuse libre et, d’autre part, liberté de conscience et liberté de dire ce que l’on pense.
Comment le « penseur libre » pense-t-il en religion ? Que revendique-t-on ou manifeste-t-on, à différentes époques et dans différents contextes, quand on affirme vouloir « penser librement » de l’intérieur d’une tradition religieuse ? Comment se dit, et se vit, ce qui est alors pensé ? La liberté de penser en religion – celle même qui peut mener à l’hérésie, à l’impiété, au blasphème – n’est-elle pas la condition sine qua non de la survie et de l’expansion d’une tradition religieuse ? Liberté de penser et sécularisation ont-elles un lien de cause à effet ?
On pourra mobiliser la sémantique pour se demander ce qui différencie « free thought », écrit aussi « freethought », « free enquiry », hétérodoxie, dissidence, ou encore doute et scepticisme. On pourra également poser des questions d’ordre linguistique. Ainsi, si l’on constate que la place obligée de l’adjectif devant le nom en anglais n’autorise pas la précision que permet le français, qui démêle sans les opposer libre pensée et pensée libre, on peut considérer que l’absence de neutre en français est un obstacle à la possibilité de penser le divin de façon non genrée. En d’autres termes, pense-t-on plus librement en religion en anglais ou en français ? On cherchera in fine à établir s’il est possible d’identifier une, voire plusieurs, tradition(s) anglophone(s), de libre pensée ou de pensée libre.
CALL FOR PAPERS
INTERNATIONAL CONFERENCE
THINKING FREELY IN RELIGION
IN ENGLISH-SPEAKING COUNTRIES
PARIS, MARCH 14-15, 2019
Organized by:
Culture et religion dans les pays anglophones
Sponsored by:
CREA (Paris Nanterre)
Histoire et Dynamiques des Espaces Anglophones (Sorbonne Université)
PHARE (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
TransCrit (Université Paris 8)
Location:
Salle du 6e, Maison des Sciences Économiques de l’Université Paris 1, 106 Bd de l’Hôpital, Paris 13e
Keynote speakers:
Kirsten Fischer (University of Minnesota) & Nicolas Slee (The Queen’s Foundation, Birmingham).
Deadline for submissions (500 words and a CV): September 30, 2018.
Please send proposals to nathalie.caron@paris-sorbonne.fr & remy.bethmont@univ-paris8.fr
Thinking freely in religion
In his Discourse of free-thinking, occasion’d by the rise and growth of a sect call’d Free-Thinkers (1713), Anthony Collins vindicated the “right to think freely,” which, he argued, was the only way to discover truth. Collins went on to challenge the view that the prophecies provided compelling evidence that Christ was the Messiah. In response to such claims, the Anglican theologian Benjamin Ibbot took to the pulpit to launch a counterattack: “This is what there are great pretences to at present, under the Name of Free-Thinking; which, if taken in a right sense, has nothing in it but what is commendable, and tends to promote the Interest of true Religion; but in the sense wherein it seems of late to have been taken, … it is of a very pernicious Consequence, destructive not only of Reveal’d, but of all true Religion, and undermining the Foundations of all Certainty, and opening a door to Libertinism and Scepticism, Atheism and Infidelity” (The True Notion of the Exercise of Private Judgment, or Free-Thinking, 1713). Ibbot’s strictures reveal the prevailing state of mind of his time. In early 18th century Britain, as “free thinking” was gaining ground, the attempt to think freely in religion was considered suspicious, possibly a devious strategy to smuggle in atheism (itself a form of intellectual libertinism), or even libertinism tout court, under the guise of a new form of intellectual freedom.
The correlation between freethought and sexuality can be found in most attacks on prominent “infidels.” Accusations of sexual impotence were levelled at Thomas Paine, the author of The Age of Reason, and Frances Wright, the Scottish feminist freethinker who became a United States citizen and co-edited The Free Enquirer with Robert Dale Owen, was called “the great red harlot” by her detractors.
It is of note that the term “freethought” should be seen as self-explanatory, referring to some form of thought about, against, outside of religion even without any explicit mention of religion. It is hardly less remarkable that the term should imply an absence or lack of freedom within religious institutions. Freedom of thought is not, however, necessarily exercised about or against religious dogmas and clerical institutions, nor does it always presuppose anticlericalism. With more or less liberalism, the religious institutions themselves create spaces of freedom for the expression of religious thought. That was the case of the Medieval Church, which actually did not generate submission to religious authorities only, as the black legend has it, but also produced the conditions for the rise of the individual and the subsequent emergence of new forms of spiritual experiences. Later, the Protestant Reformation introduced the concept of free enquiry. Thinking freely in religion includes thinking not only against or without, but also within religion.
Religious traditions and their foundational texts provide believers with significant, though often unacknowledged, intellectual resources. They enable the faithful to introduce some creative spaces into religious structures and some fluidity into fixed religious categories. This leads to different ways of relating to religion and the divine, as well as addressing political and social issues which would otherwise remain untouched by the religious imagination. The process can be exemplified by the development of queer theology, whose presence can be felt in various degrees in the three monotheistic religions, or by Christian, Jewish and Muslim feminisms with their non-patriarchal approaches to the sacred texts and religious traditions.
Moving away from a narrow understanding of the “freedom to think” as the mere inverted mirror of religion, we welcome papers on the constructive contributions of free religious thought to religion per se, as well as papers which discuss the theological and ecclesiastical foundations of the notions of liberty and freedom. We encourage participants to distinguish between thinking freely in religion and religious freedom, on the one hand, and free religious thinking and freethought, on the other.
How does the “free” thinker think in religion? What does one claim or proclaim at various times and in various contexts when one professes the desire to think “freely” from within a religious tradition? How can one express and experience what is then being thought? Is not the freedom to think in religion—that very freedom that can lead to heresy, impiety, or blasphemy—the sine qua non of the survival and expansion of a religious tradition? Is there a causal relationship between freedom of thought and secularization?
Semantic variations may also be explored. What is the possible difference in meaning and scope between “free thought” (or “freethought”), “free enquiry”, heterodoxy, dissent, or even skepticism and doubt? How enlightening can linguistic specificities be in the matter? For example, the English word order does not allow the subtle distinction between “libre pensée” and “pensée libre” readily available to French speakers. Conversely, the lack of a neutral grammatical gender in French may preclude any attempt to theorize the deity and the divine in gender-neutral terms. Does it mean that one can think “more freely” in English (or in French) in religious matters? We will seek to establish and/or question the existence of one—or more—idiosyncratic English-speaking traditions of free thought.