12-13 octobre 2017 Université de Pau et des Pays de l’Adour, CRPHLL, EA 3003 LABILITÉ DES GENRES : LE DÉSIR DU HORS GENRE

LABILITÉ DES GENRES : LE DÉSIR DU HORS GENRE

12-13 octobre 2017

Université de Pau et des Pays de l’Adour, CRPHLL, EA 3003

avec la participation de l’université Bordeaux-Montaigne, CLIMAS, EA 4196

Ce colloque pluridisciplinaire a pour but de montrer dans quelle mesure la labilité des frontières génériques dans les domaines des arts, lettres et langues peut traduire un désir du hors genre, ou simplement d’un autre genre. Les nombreuses études dont les pratiques littéraires ont fait l’objet, qu’elles adoptent une approche diachronique ou synchronique, n’ont eu de cesse de constater, en effet, la labilité des genres dont les frontières poreuses et perméables permettent des glissements entre les formes et contenus. Les fluctuations des appellations génériques, souvent tributaires des contextes de la création et de la réception, témoignent aussi de cette labilité : « Comme les déterminations génériques sont elles-mêmes fortement contextualisées, on comprend qu’elles soient instables » (Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire?, 142). Les genres littéraires paraissent plus labiles que les genres artistiques, comme le souligne Yves Stalloni : « À l’inverse de ce qui se passe pour les autres arts, la littérature semble avoir du mal à s’entendre sur une théorie cohérente des genres fondée sur des désignations rigoureuses et des délimitations précises » (Les Genres littéraires, 12). Néanmoins, de même qu’un texte littéraire échappe rarement à un dialogue entre plusieurs traditions génériques, une œuvre d’art garde bien souvent les empreintes d’un échange entre plusieurs courants artistiques. A fortiori, des œuvres hybrides peuvent jouer avec ces glissements entre pratiques littéraires et artistiques. La bande dessinée elle-même en est une illustration, comme le suggère ce nom de genre presque oxymoronique qu’est le « roman graphique » ; de la même façon, comme cela a été déjà maintes fois souligné, la littérarité d’un texte n’exclut en rien un jeu avec des supports visuels comme le dessin ou la photographie. On parle ici de jeu, de dialogue ou d’échange, mais il arrive parfois que certaines « dominantes » génériques s’affrontent à tel point que l’on ne peut décider de la nature de l’œuvre : ainsi, le texte de William Faulkner, Requiem for a Nun, est structuré comme une pièce de théâtre mais comprend aussi des récits qui ne sont pas de pures et simples didascalies. Le short story cycle joue avec les frontières du roman et du recueil de nouvelles pur et simple, à moins que ce ne soit le roman qui ne vampirise tous les genres et soit donc finalement un anti-genre, voire une forme de hors genre.

Il ne s’agit pas uniquement ici de s’intéresser aux recyclages et aux transformations génériques au sein des œuvres relevant du domaine des arts, des lettres et des langues, mais de s’interroger sur ce qui sous-tend cette labilité des formes et contenus génériques : serait-elle la conséquence d’un simple jeu avec la filiation révélant le souci de créer une œuvre hybride, un palimpseste original ? Est-elle simplement liée à l’inscription des genres dans le temps et dans le devenir, ou ne manifeste-t-elle pas un refus du genre ? Marielle Macé se demande ainsi si « la haine du genre » ne serait pas une constante dans « une histoire cyclique de la littérature » : « Cette entrée du genre dans l’histoire coïncide ainsi avec une entrée de la littérature dans la haine des genres : il s’agit désormais de pénétrer l’essence de la production littéraire, son auto-engendrement, d’offrir un nouveau modèle de l’œuvre et une exigence de totalité dont les anti-genres du fragment et du roman sont les véritables idéaux » (Le Genre littéraire, 73).

Ce refus du genre traduit souvent un désaveu des cadres génériques habituels qui ne permettent pas de répondre à des interrogations d’ordre épistémologique et herméneutique. Et pourtant, de même que les auteurs et les créateurs éprouvent aussi le besoin de s’en remettre à des modèles, les lecteurs ou récepteurs obéissent aussi à des attentes génériques : « C’est parce que les genres existent comme une institution qu’ils fonctionnent comme des ‘horizons d’attente’ pour les lecteurs, des ‘modèles d’écritures’ pour les auteurs » (Tzvetan Todorov, La Notion de littérature, 35). N’oublions pas qu’un genre est avant tout un cadre de référence, un terrain d’entente mais aussi de jeu sur lequel auteur et lecteur se rencontrent. Et pour enfreindre les règles du genre, il faut d’abord bien les connaître. Peter J. Rabinowitz précise justement dans Before Reading: Narrative Conventions and the Politics of Interpretation que certains auteurs d’avant-garde préfèrent jouer avec les codes de genres populaires afin de s’assurer que leurs détournements ironiques soient bien perçus et compris par leurs lecteurs : « […] the more a writer wishes to undermine tradition, the more imperative it is that the tradition be understood to begin with. This may explain why so-called serious avant-garde authors so frequently turn to formulaic popular fiction as a skeleton on which to hang their own works » (58).

Le désir d’être hors genre n’est-il pas indissociable d’une volonté de créer la surprise, de tromper l’horizon d’attente, généricité auctoriale et généricité lectoriale étant étroitement liées ? Cette volonté d’originalité peut exprimer le désir quasi narcissique d’être unique et singulier : « L’œuvre littéraire contemporaine, au contraire, cultive en général délibérément sa singularité, son irréductibilité aux critères de genres » (Dominique Combe, Les Genres littéraires, 151). Un tel propos peut bien évidemment s’appliquer aux œuvres d’art qui se veulent ou se sont voulues avant-gardistes. Cette quête du hors genre ne génère-t-elle pas alors une forme outrancière de labilité qui aboutirait à une indécidabilité, voire à une incompréhension générique, dans un contexte de création et de réception aussi flottant ? Comme le souligne Alastair Fowler, « [i]nnovative works tend to be obscure precisely because their generic context is not yet obvious » (Kinds of Literature. An Introduction to the Theory of Genres and Modes, 260). Le hors genre fait donc courir aux auteurs le risque de devenir « hors jeu », de créer un désa/encrage générique néfaste au jeu herméneutique. En fin de compte, une fois que le récepteur a surmonté cette indécidabilité générique, le hors genre, lieu transitoire d’un renouvellement et d’une réinvention des formes et des contenus, ne conduit-il pas à l’émergence d’un nouveau genre ? Pour faire bref, le hors genre est-il possible ? A nouveau selon Tzvetan Todorov, on y échappe jamais totalement : « On pourrait dire que tout grand livre établit l’existence de deux genres, la réalité de deux normes : celle du genre qu’il transgresse, qui dominait la littérature précédente ; et celle du genre qu’il crée » (Poétique de la Prose, 56). Même l’originalité la plus radicale traîne ce qu’elle transgresse comme une trace indélébile. Penser le hors-genre, in fine, c’est penser la dialectique continuité/changement qui, selon Linda Hutcheon, a caractérisé les stratégies parodiques du postmodernisme : « It is in this way that posmodern parody marks its paradoxical doubleness of both continuity and change, both authority and transgression » (A Poetics of Postmodernism, 35).

Le colloque aura lieu à l’université de Pau et des Pays de l’Adour. Les propositions de communication (300 mots), en anglais ou en français, pourront êtres envoyées avant le 30 avril 2017 à Françoise Buisson (Pau), francoise.buisson@univ-pau.fr, et à Arnaud Schmitt (Bordeaux-Montaigne), arnaud.schmitt@u-bordeaux.fr.

ELUSIVENESS OF GENRES : THE DESIRE TO GO “BEYOND GENRE”

October 12-13, 2017

Université de Pau et des Pays de l’Adour (EA 3003)

With the participation of Université Bordeaux-Montaigne (EA 4196)

The purpose of this multidisciplinary conference is to show to what extent the elusiveness of genre boundaries in the fields of arts and literature can convey the desire to go beyond genre, or simply to embrace another genre. The numerous studies on literary practices, whether they be based on a diachronic or synchronic approach, have constantly led critics to shed a light on the elusiveness of genres the boundaries of which are porous, easily crossed and result in shifts between forms and contents. Floating generic labels, which often depend on creation and reception contexts, also testify to such elusiveness: “Comme les déterminations génériques sont elles-mêmes fortement contextualisées, on comprend qu’elles soient instables ” (Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire?, 142). Literary genres seem to be more unstable than artistic genres, as Yves Stalloni highlights: “À l’inverse de ce qui se passe pour les autres arts, la littérature semble avoir du mal à s’entendre sur une théorie cohérente des genres fondée sur des désignations rigoureuses et des délimitations précises” (Les Genres littéraires, 12). Yet, just as a literary text can hardly avoid establishing a dialogue between several genre traditions, a work of art also quite often bears the traces of a an exchange between several art movements. A fortiori, hybrid works can play with the shifts between literary and art practices. This is exemplified by comic strips, as suggested by the phrase “graphic novel”, which is more or less an oxymoronic way of naming a genre. Likewise, as quite a few critics have already shown, the literariness of a text by no means rules out a kind of interplay with visual arts such as drawings or photographs. This process is usually described as a game, a dialogue or exchange, but some generic dominant features sometimes happen to be in conflict with one another, to such an extent that it proves impossible to define the very nature of the work: thus the text by William Faulkner, Requiem for a Nun, is built like a play but also includes narratives that cannot be defined only as basic stage directions. Moreover the short story cycle plays with the boundaries of the novel or the collection of short stories as such, unless one considers that the novel vampirizes all genres and is finally an anti-genre, and even a form beyond genre.

The aim of the conference is not only to pay attention to generic recyclings and transformations within works in the fields of arts and literature, but also to ponder over what may account for the elusiveness of generic forms and contents: does it result from the interplay with filiation reflecting the desire to create a hybrid work, an original palimpsest? Can it be related to the development of genres in time, or is it implied by the rejection of any genre whatsoever? Marielle Macé thus wonders whether the “hatred of genre” is not a constant characteristic in the “cyclical history of literature”: “Cette entrée du genre dans l’histoire coïncide ainsi avec une entrée de la littérature dans la haine des genres : il s’agit désormais de pénétrer l’essence de la production littéraire, son auto-engendrement, d’offrir un nouveau modèle de l’œuvre et une exigence de totalité dont les anti-genres du fragment et du roman sont les véritables idéaux” (Le Genre littéraire, 73).

The rejection of genre often conveys the denial of usual generic frames, which are not valid enough to offer responses to epistemological or hermeneutic questions. However, just as authors and creators experience the need to rely on models, readers or receivers have their own generic expectations: “C’est parce que les genres existent comme une institution qu’ils fonctionnent comme des ‘horizons d’attente’ pour les lecteurs, des ‘modèles d’écritures’ pour les auteurs” (Tzvetan Todorov, La Notion de littérature, 35). We should keep in mind the fact that a genre is above all a frame of reference, a kind of common ground or playground on which both author and reader meet. One has to acquire a good knowledge of generic rules before subverting them. In Before Reading: Narrative Conventions and the Politics of Interpretation, Peter J. Rabinowitz rightly points out that some avant-garde authors prefer playing with the codes of popular genres so as to make sure that their ironical strategies can be perceived and understood by their readers: “[…] the more a writer wishes to undermine tradition, the more imperative it is that the tradition be understood to begin with. This may explain why so-called serious avant-garde authors so frequently turn to formulaic popular fiction as a skeleton on which to hang their own works” (58).

Is the desire to go beyond genre really distinct from the will to create surprise and mislead the reader by playing with his/her “horizon of expectations”? The desire for originality can also reveal the almost narcissistic wish to be unique and original: “ L’œuvre littéraire contemporaine, au contraire, cultive en général délibérément sa singularité, son irréductibilité aux critères de genres ” (Dominique Combe, Les Genres littéraires, 151). Undoubtedly this comment can apply to the works of art which are or were aimed at being avant-garde. One may assume that this quest for works beyond genre is likely to produce an extreme form of elusiveness leading to generic undecidability or even to a lack of generic understanding, in such an elusive creation and reception context. Alastair Fowler writes that “Innovative works tend to be obscure precisely because their generic context is not yet obvious” (Kinds of Literature. An Introduction to the Theory of Genres and Modes, 260). The desire to go beyond genre may force authors offside and cause them to lose their generic bearings, thus undermining the generic interplay. Finally, once the receiver overcomes generic undecidability, the work beyond genre may be perceived as a transitional pattern for renewed and reinvented forms and contents: does it not pave the way for the birth of a new genre? To cut a long story short, is it possible to go beyond genre? Once again, according to Tzvetan Todorov, one cannot escape genre: “On pourrait dire que tout grand livre établit l’existence de deux genres, la réalité de deux normes : celle du genre qu’il transgresse, qui dominait la littérature précédente ; et celle du genre qu’il crée” (Poétique de la Prose, 56). Even the most extreme originality still bears the indelible imprints of what it transgresses. In the final analysis, grasping what going beyond genre means and implies amounts to understanding the dialectic of continuity and change which, according to Linda Hutcheon, is a prominent feature of the parodic structures of postmodernism: “It is in this way that postmodern parody marks its paradoxical doubleness of both continuity and change, both authority and transgression” (A Poetics of Postmodernism, 35).

The conference will be held at the Université de Pau et des Pays de l’Adour. Proposals in English or in French (300 words) should be sent by e-mail to francoise.buisson@univ-pau.fr, and to Arnaud Schmitt (Bordeaux-Montaigne), arnaud.schmitt@u-bordeaux.fr by April, 30, 2017.


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