Excentricités
RÉSUMÉ
Ce colloque invite doctorants, jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs de différents horizons disciplinaires à mettre en question le monde actuel à l’aune de la notion d’« excentricités », qui renvoie de prime abord à l’idée d’écart ou de marge : les « excentricités » sont ce qui déroge à une règle en se situant ou en étant situées à la périphérie d’un centre ou d’un cœur. Donner une place à des formes décentrées, à des phénomènes subversifs d’étrangetés, à des pratiques s’adonnant au décalage et au second degré nous paraît urgent à l’heure où des processus de normalisation se généralisent. Pourront ainsi être analysés récits, créations et expériences dans le champ de l’art et du design, imaginaires socio-discursifs, enjeux liés au décentrement d’un texte en traductologie et manifestations politiques marqués par leur aspect décalé, qui travaillent le monde contemporain.
Les propositions, d’une page environ, devront être envoyées avant le 31 octobre aux adresses suivantes :
helene.crombet@gmail.com ; charlottecmblanchard@gmail.com ; arnaud.alessandrin@gmail.com
Vous pouvez retrouver cet appel à communication sur Calenda.
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ARGUMENTAIRE
Le projet transversal que nous souhaitons élaborer se propose de mettre en question le monde actuel par le prisme de ses excentricités, dans une dimension interdisciplinaire.
Importante nous semble effectivement l’analyse de la contemporanéité à l’aune d’une telle notion qui renvoie, en premier lieu, à l’idée d’écarts : les excentricités sont ce qui déroge à une règle, à une norme ou à un nome en se plaçant ou en étant placées à la périphérie d’un centre ou d’un cœur. Pourquoi éclairer le présent par ce terme qui relèverait de formes d’altérités marquées par leur aspect décalé, fantasque voire fantaisiste ? Leur donner la parole nous paraît urgent à l’heure où, suffocants, des processus de normalisation se généralisent. Suscités par de multiples tensions liées à une contemporanéité étourdissante, susceptible de donner le vertige, des crispations se cristallisent autour de manifestations transgressives dans la volonté de mettre au ban, voire d’annihiler ce qui tient d’une part interdite, non-dite voire maudite. Les discours excentriques ne sont-ils pas ceux qui n’ont pas droit au chapitre ? Ne font-ils pas l’objet d’un processus de marginalisation ou de délégitimation, précisément parce qu’ils sont minoritaires ? C’est donc dans la perspective de donner toute leur place à des phénomènes subversifs d’étrangetés, à des pratiques s’adonnant au décalage et au second degré que nous avons voulu créer cette initiative. Elle souhaiterait effectivement inviter des Chercheurs de tous horizons disciplinaires à s’approprier ces excentricités, à travers leur éclairage respectif. Pourront ainsi être mis en question des récits, des arts et des arts de faire, des pratiques, des représentations symboliques et des imaginaires collectifs caractérisés par leur « excentricité », qui travaillent le monde contemporain et par lequel ils sont susceptibles de se laisser travailler.
Mais quelles définitions ce terme peut-il recouvrir ?
Il est possible d’envisager la notion d’« excentricités » à travers les propositions suivantes, qui ne se veulent pas exhaustives :
Les excentricités suggèrent une mise en cause, voire une indiscipline ou une révolte contre une norme instituée. Convoquant l’idée de décentrement, l’excentricité se démarque d’un ordre, d’un système de règles établies, dans un processus d’écarts décalés et dérangés, à la limite d’une marge. Les excentricités peuvent être analysées à l’aune de représentations socio-discursives et d’imaginaires collectifs singuliers : quelles pratiques, quels arts de faire actuels feraient montre de « bizarreries » dans le refus parfois démesuré, tapageur et excessif de se plier à l’orthodoxie de prescriptions institutionnelles et politiques ? Sous quelles formes notamment militantes sont-elles susceptibles de se manifester ? En vue de résister à certaines violences, visibles et invisibles, nécessitent-elles elles-mêmes des expressions et des actes de violence ? Cette violence n’est-elle alors source que de négation destructrice ; cet en-trop ne peut-il donner lieu à des formes de (re)créations ? Mais ces formes d’excentricités, ces manifestations de troubles à l’ordre public sont-elles susceptibles de trouver une place hors des institutions ? Ne sont-elles pas sitôt survenues immédiatement absorbées, devenant ainsi des normes au sein de l’appareil social ? Aussi l’excentricité pourrait-elle tendre vers l’extravagance, dans un phénomène de transgression véritable proprement acentrique, qui n’admettrait plus de centre par rapport auquel il s’agirait de se démarquer ? Dans cette perspective, on pourra s’interroger sur l’émergence de formes, de figures contemporaines de dérèglement, voire de dérégulation, à travers une dimension politique, philosophique, sociologique et anthropologique.
Les arts contemporains suscitent en outre des interrogations portant sur les productions qu’ils mettent en œuvre, mais aussi sur les expériences esthétiques qu’ils donnent à vivre : quelles représentations de l’humain et du monde dans lequel il est compris, actuelles voire prospectives, les artistes nous donnent-ils à voir et à penser sous un prisme excentrique ? Des images d’un corps étranges (re)feraient leur apparition. Le succès que rencontrent actuellement de telles représentations artistiques d’homme « mutant », « augmenté », en un mot « hybride » peut aussi nous interroger : que peut-on dire de la prééminence de telles figures ? Les artistes ont-ils la possibilité, et s’octroient-ils de surcroît la possibilité de créer des œuvres douées d’extravagance, dans le contexte politique de tensions actuel ? Quelles difficultés la mise en circulation d’œuvres subversives si tant est qu’elles existent rencontre-t-elle, et quelles formes d’appropriation émergent de cette transmission dans l’espace public ?
De multiples réalisations artistiques et médiatiques pourraient être interrogées, à l’aune d’une perspective narratologique ou sémiotique : plusieurs productions cinématographiques, romans, bandes-dessinées, séries télévisées et jeux vidéo contemporains sont susceptibles de présenter des formes narratives singulières qui convoquent, formellement, l’idée de « discordance » ou de « montage » en n’ayant nul début, nul milieu, nulle fin ; mais qui pourraient également être analysées à travers des phénomènes de démultiplication de la parole « polyphonique » ou des points de vue, « polyfocalisés », dans un phénomène de décentrement qui mettrait en question l’idée de cœur.
Le langage, dans la disparation de sa chaîne d’articulation voire de désarticulation, aura évidemment toute sa place : interdit voire maudit, il pourrait faire l’objet d’analyses linguistiques interrogeant ses bizarreries, ses phénomènes d’écarts. Dans cette perspective, des éclairages psychanalytiques portant sur des formes d’étrangeté radicale seraient intéressantes, dans une compréhension du verbe comme symptôme, comme révélateur et comme vecteur de la folie, du fantasque, de l’extravagance.
Pourrait en outre être envisagée une topologie de l’excentricité : celle-ci pourrait en effet donner lieu à des réflexions géographiques, géopolitiques voire géopoïétiques portant sur le monde contemporain, « créolisé », parcouru d’une myriade de flux qui s’entretissent à travers des phénomènes de gravitation centrifuge, à un rythme effréné. Dans cette perspective, pourraient aussi être mises en problématique des pratiques et des représentations occidentalo-centrées, dans une ouverture vers les études postcoloniales. L’espace urbain, « ex-centrique », pourrait également être analysé non seulement dans une mise en question de la dialectique entre centralité et périphéries, mais aussi dans les pratiques « émargentes » qui sont les siennes, à travers une forme d’excentri-cité. Dans le champ de la traductologie, le décentrement du texte pose la question de la référentialité du fait culturel en convoquant les notions de transfert, d’exil, de décentrement et de déplacement d’une culture d’origine vers une culture-cible, vers un ailleurs. De plus, la traduction s’inscrit inévitablement dans les enjeux des transferts de pouvoir à l’échelle mondiale, entre langues-cultures centrales ou majeures, et langues-cultures périphériques ou mineures. La notion de dé-centrement s’applique également à la philosophie de la traduction : le traducteur littéraire est-il un auteur (second) ? Une traduction ne serait-elle jamais qu’une pâle copie de l’original ? Enfin, accueillir l’étrangeté de l’original dans la langue cible est une poétique de la traduction que des auteurs-traducteurs pratiquent comme impulsion régénératrice unique pour une tradition littéraire, re-centrant et redéfinissant les normes linguistiques et littéraires.
L’on pourra enfin se demander si l’époque que nous vivons n’entrerait pas en résonance avec des époques antérieures – en tenant compte de leur complexité respective -, à travers la résurgence de figures, de représentations et de formes excentriques qui feraient écho au passé.
Plusieurs axes peuvent ainsi être envisagés :
1. Politique de l’excentricité Normes et anormalités. Excentricités politiques et sociales. Représentation de l’altérité vis-à-vis de standards, de règles, de lois. Manifestations subversives. Excentricités et institutions. Excentricités entre créations et reviviscence.
2. Narration de l’excentricité La mise en récit de l’excentrique, de l’extravagant, du fantasque. Langage de l’excentrique. Démultiplication de la parole narrative.
3. Les excentricités dans les arts Création, mise en circulation et appropriation d’arts décalés.
4. Topologie de l’excentricité Créolisation et transculturalité. La notion de décentrement en traductologie. Pratiquer l’espace « lisse ». Centralités et périphéries urbaines.
Le Colloque se tiendra les 12 et 13 avril 2017 à l’Université Bordeaux Montaigne – Salle des Thèses, Maison de la Recherche – Domaine Universitaire (33607 PESSAC)
Comité scientifique : Arnaud Alessandrin (Docteur en Sociologie, Université de Bordeaux), Patrick Baudry (Professeur en Sociologie, Université Bordeaux Montaigne), Véronique Béghain (Professeur en Littératures et Arts Américains et Traductologie, Université Bordeaux Montaigne), Rachele Borghi (Maître de Conférences en Géographie, Université Paris-Sorbonne), Cécile Croce (Maître de Conférences HDR en Esthétique de l’Art, Université Bordeaux Montaigne), Jean-Michel Devésa (Professeur en Littérature française et en français des XXe et XXIe s., Université de Limoges), Olivier Douville (Maître de Conférences des Universités, Laboratoire CRPMS, Université Paris Diderot), Jean-Paul Engélibert (Professeur en Littérature Comparée, Université Bordeaux Montaigne), Nathalie Jaëck (Professeur en Littérature Britannique, Université Bordeaux Montaigne), Philippe Liotard (Maître de Conférences en Sociologie, Université Lyon I), Isabelle Poulin (Professeur en Littérature Comparée, Université Bordeaux Montaigne), Marielle Toulze (Maître de Conférences en Anthropologie de la Communication, Université de Saint-Etienne).
Comité d’organisation : Arnaud Alessandrin, Patrick Baudry, Charlotte Blanchard, Hélène Crombet, Jean-Michel Devésa, Julie Gay.