1 ET 2 JUIN 2018 COLLOQUE CERLICO Université François-Rabelais de Tours COMPLÉMENT, COMPLÉMENTATION, COMPLÉTUDE

COLLOQUE CERLICO – 1 ET 2 JUIN 2018 – Université François-Rabelais de Tours

COMPLÉMENT, COMPLÉMENTATION, COMPLÉTUDE

La date limite pour envoyer vos propositions de communication (300 mots) est le 15 novembre 2017 sous forme électronique à l’adresse suivante : cerlico2018@gmail.com
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En France, la notion de complément a été introduite dans l’analyse de la phrase à l’issue d’un long processus de maturation de deux siècles (17e-18e siècles). Cette innovation, apparue dans l’Encyclopédie (articles « Régime » et « Construction »), a été permise par la volonté d’aller au delà d’une analyse logique binaire, c’est-à-dire en Sujet-Prédicat, type d’analyse qui ne laissait pas de résidu inanalysé, puisque tout constituant appartient nécessairement soit au groupe Sujet, soit au groupe Prédicat (Ducrot & Todorov 1972). Le terme de complément renvoie alors aux problèmes de rection des mots dans la phrase et il se distingue de la fonction syntaxique (en tant qu’elle concerne la distinction du sujet et du prédicat) mais aussi de la construction (l’organisation interne de la phrase). Quant au terme de complémentation, c’est une autre façon de désigner le complément, bien que complémentation soit souvent employé pour regrouper les différents cas spécifiques de compléments, cf. Le Querler (2012), Abeillé et Goddard (1996) mais aussi Crystal (1997).

On pourra réfléchir au fondement des fonctions de complémentation, d’un ordre différent de celui des fonctions Sujet et Prédicat : comme le terme de complément l’indique, il s’agit de l’impossibilité supposée pour une unité (ou un constituant) d’exprimer une idée complète. Mais dans les approches énonciativistes par exemple, le lieu véritable de la construction du sens est l’énoncé, et aucune unité (ou aucun constituant) n’est apte, de façon isolée, à exprimer une idée complète : doit-on alors dire que tout élément de l’énoncé (un déterminant, une conjonction de subordination, etc.) est de fait un complément ? Doit-on alors abolir la distinction entre fonction sujet et fonction complément (le sujet n’étant pas vu, traditionnellement, comme un complément), comme Tesnière puis Martinet ont tenté de le faire, en projetant dans toute fonction une forme de complémentation ? Sur ce point, on peut également réfléchir à la spécificité de l’approche de Culioli, pour qui les compléments renvoient aux arguments du verbe ou du prédicat (complément de rang zéro, complément de rang n, où n est différent de zéro). Et d’ailleurs, est-ce que seule une relation de complémentation est possible entre les unités, ou peut-on/doit-on envisager d’autres formes d’interaction entre les unités ?

Il est également possible de réfléchir au bien-fondé de certaines typologies. Ainsi, en français, on distingue classiquement entre compléments de relation (ex. nécessaire à la vie) et compléments de détermination (ex. l’article de Dumarsais, renoncer à une hypothèse). Cette distinction est-elle superficielle, voire artificielle, ou bien repose-t-elle sur des différences systématiques de type morphosyntaxique, par exemple ? Qu’apporte cette distinction à la description du français : en quoi permet-elle de cerner l’objet « complément » de plus près ? Est-elle valide en dehors du français, dans une perspective de linguistique générale ? Et si oui, offre-t-elle par exemple un intérêt particulier dans une perspective contrastive ?

Une autre distinction classique parmi les compléments est celle entre arguments et circonstants : un critère de reconnaissance parmi d’autres est que les seconds peuvent être multipliés dans une proposition donnée (un complément de manière + un complément de lieu + de moyen, etc.), tandis qu’il ne peut y avoir qu’un seul complément d’objet (du moins un seul au rang 1 et un seul au rang 2, correspondant au complément d’objet second). Dans ces conditions, que faire d’un constituant comme money dans The bank has been money-laundering cash from various countries ? De nombreuses langues connaissent des constructions comparables à celle de cet énoncé anglais : doit-on distinguer un « complément d’objet interne (ou incorporé) » et un « complément d’objet externe », et là encore, qu’apporte cette distinction dans une perspective de linguistique générale ?

Parmi les compléments venant compléter l’idée portée par le verbe, la diversité des constructions peut poser question. Il peut aussi bien s’agir de compléments nominaux que de compléments verbaux (par exemple de compléments à l’infinitif en français), ou même de propositions complétives (par exemple après les verbes de pensée et d’opinion). Peut-on considérer que la complémentation est un processus général qui transcende ces distinctions grammaticales (par exemple sur un plan sémantique ou cognitif), ou qu’il s’agit en réalité de mécanismes de complémentation intrinsèquement différents ?

Toujours dans le domaine verbal, prenons l’exemple d’une langue à tradition orale comme l’ikwere (Niger-Congo) : le verbe est systématiquement composé de deux unités : une base et un complétant, tels àgbáɛ́fɔ́ « courir », àkwá̰ɛ́kwá̰ « pleurer », ètḛ́ érí « danser ». Peut-on ramener le second élément au statut de complément ?

Dans d’autres langues où la description recourt à la notion de construction à « verbe support » (dit parfois « verbe léger »), on pourra trouver pertinent d’explorer cette notion : dans quelle mesure use dans have a use [z], usage dans faire usage, a dressing down dans give sb. a good dressing down, sont-ils des compléments de leurs verbes respectifs ?

Un autre angle d’attaque de la question du « complément » est celui des parties composantes de mots composés. Dans telle ou telle langue connaissant la composition, que dire du statut de ces éléments ? Dans cet exemple français : Sous leurs abat-jour de métal, les bougies de cire des deux candélabres n’éclairent que la large table encombrée d’atlas … (F. Coppée), jour est-il un complément de abattre ? Sur quelle base défendre cette conception, et quel est son intérêt pour la description ?

On pourra également s’interroger d’une manière plus circonscrite sur la validité de la conception lacunaire du sens (qui sous-tend le concept de complément), en s’intéressant à une catégorie syntaxique donnée : si certains mots ou constituants servent à « compléter » le sens de certains autres, alors un élément comme la particule dans les langues germaniques devrait être traité comme un complément du verbe, ce qui n’est pas le cas (en anglais, le terme de complement est même le plus souvent employé dans un sens restreint pour désigner l’attribut) ; de même, un élément comme l’adjectif épithète ou la proposition relative en français devrait être traité comme un complément du nom, ce qui n’est pas le cas, etc. D’une manière plus générale, est-il possible de spécifier le statut catégoriel du complément dans une langue donnée ?

Enfin, en lien avec ce qui précède, on pourra s’interroger sur la différence ou le rapprochement entre le complément et la complétude. Dans la littérature, le terme de complétude s’emploie parfois comme synonyme de complément (Delmas 2006), parfois pour désigner dans des analyses macro-syntaxiques la totalité d’un texte. Ainsi en pragmatique, on parle de contrainte de complétude forte, en relation avec la maxime gricéenne de quantité (Portuguès 2011), ou encore pour allier la complétude syntaxique et la complétude sémantique (Guillaume 1971).


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