30-31 mars 2018 Université Sorbonne Nouvelle / Université Versailles-Saint-Quentin Colloque international : « Les Sens dans la construction du genre (XVIe – XVIIIe siècles) »

PEARL (PRISMES : EA 4398), Université Sorbonne Nouvelle / DYPAC : EA 2449, Université Versailles-Saint-Quentin

Colloque international : « Les Sens dans la construction du genre (XVIe – XVIIIe siècles) »

  30-31 mars 2018

Université Sorbonne Nouvelle / Université Versailles-Saint-Quentin

Organisatrices :  Armel Dubois-Nayt, Line Cottegnies, Claire Boulard et Isabelle Bour.

Comité scientifique :vClaire Gheeraert (Univ. Rouen), Nathalie Grande (Univ. Nantes), Marie-Elisabeth Henneau (Univ. Liège), Guyonnne Leduc (Univ. Lille 3), Anne-Marie Miller-Blaise (Univ. Sorbonne Nouvelle), Sandrine Parageau (Univ. Paris Ouest Nanterre), Paul Salzman (La Trobe Univ.), Eliane Viennot (Univ. Saint-Etienne), Susan Wiseman (Birkbeck College, Londres)

Colloque organisé avec le parrainage de la Société Internationale pour l’Etude des Femmes de l’Ancien Régime, de Société Française Shakespeare et de la Société d’Etudes anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles.

Appel à communications  (scroll down for English version)

Au cours des trois dernières décennies, les études autour des discours sur l’égalité/l’inégalité des sexes se sont multipliées dans le domaine anglo-saxon. Dans le contexte des Îles britanniques, elles se sont particulièrement concentrées sur les années 1540-1640, période très féconde en la matière sous l’effet, notamment, de l’humanisme, de la Réforme et de la succession de trois femmes sur les trônes d’Angleterre et d’Écosse. Ces débats ou controverses ont réactivé au moins quatre querelles héritées du Moyen Âge — la querelle dite « du mariage », celle « du savoir » et celle « du pouvoir » et celle du « vêtement » qui posaient les questions suivantes : était-il dans l’intérêt des deux sexes de se marier, les femmes devaient-elles avoir accès à l’éducation et à la culture pour leur bénéfice et celui de la société, les femmes avaient-elles la capacité de gouverner sans exercer un pouvoir tyrannique ? Enfin, question qui peut paraître secondaire, mais qui prend tout son sens à la suite des précédentes : hommes et femmes pouvaient-ils s’approprier le vestiaire du sexe opposé sans risquer de bouleverser l’ordre du monde ?

Les travaux qui ont traité de ces différents débats ont largement porté sur les différences intellectuelles et morales au cœur de l’argumentation des philogynes et des misogynes en occultant, sinon le corps, du moins les cinq sens. Or, il suffit de se tourner vers les historiens des sens, par exemple Constance Classen, Robert Jütte et David Howes pour voir que les cinq sens ont été largement mis à contribution dans les tentatives de hiérarchisation entre les sexes mises en place aux XVIe et XVIIe siècles. D’une part, ils ont servi à opposer les sexes entre eux, l’homme étant traditionnellement décrit comme un animal raisonnable par opposition à la femme, créature sensuelle. D’autre part, le masculin et le féminin ont à leur tour permis de hiérarchiser les sens les uns par rapport aux autres depuis Platon et Aristote et jusqu’à, par exemple, le De Sensu de Charles Bouvelles (1470-1553) et, au-delà, jusqu’à la controverse Molyneux et l’empirisme lockien. Ainsi, étaient considérés comme masculins les sens nobles (la vue, l’ouïe), associés à l’esprit, et comme féminins les sens de proximité, plus corporels, que sont le goût, l’odorat et le toucher. C’est d’ailleurs à la gourmandise d’Ève que l’exégèse biblique attribue la responsabilité de la Chute.

Les sens ont également eu pour fonction dans la pensée antique de l’identité sexuelle, encore influente au début de la première modernité, de différencier l’homme de la femme d’un point de vue sensoriel : le sensorium masculin se distingue du sensorium féminin. Ainsi, dans la théorie des humeurs exposée dans le Corpus hippocratique et sur lequel repose encore la médecine des XVI-XVIIe siècles, la femme est froide et humide tandis que l’homme est chaud et sec. Mais on pensait aussi pouvoir distinguer l’homme de la femme au toucher, à l’odeur, à la vue et l’oreille. Selon le poète Lucrèce (De Rerum Natura), alors que l’odeur des hommes est sucrée, celle des femmes est répugnante et putride ; et, dans la pensée socratique, emprunter son parfum au sexe opposé est aussi condamnable que le travestissement. Comme l’a montré Thomas Laqueur dans un ouvrage qui a fait date, Making Sex : Body and Gender from the Greeks to Freud (1990), les avancées de la médecine aux XVIIe et XVIIIe siècles, et singulièrement de la physiologie, ont amené une redéfinition des sexes sur une base physiologique et anatomique, ce qui a entraîné une définition plus précise, et à certains égards normative, de la sensibilité féminine.

Enfin, Aristote (dans la Génération des animaux) défend l’idée d’un code de couleurs permettant de dissocier visuellement les hommes et les femmes : pour les premiers des vêtements sombres, reflétant leur force et leur sérieux, pour les femmes et par simple symétrie, les couleurs claires. Ces vêtements aux couleurs sexuées ont cependant évolué au fil des siècles et il sera intéressant d’approfondir l’étude de ce qu’Elisabeth Fisher a appelé la « taxinomie chromatique » des habits à tous les âges de la vie pour la période allant du XVIe au XVIIIe siècle[1]. Enfin, les différents bruits/sons produits par les deux sexes par le biais de leurs vêtements, leurs bijoux, leurs instruments de musique ou tout autre objet, comme par la voix sont des éléments potentiels de différenciation et de hiérarchisation assez peu étudiés à ce jour, si l’on excepte les études sur les mégères et les commères, personnages récurrents des pamphlets populaires de la Querelle. Il sera donc intéressant d’analyser les différentes sources exploitables pour tenter de rendre à nouveau audible l’activité sonore des deux sexes.

L’objectif général de ce colloque sera donc, en premier lieu, d’établir comment les sens ont permis de penser l’appartenance sexuelle pour justifier les inégalités entre les sexes et de stigmatiser toute forme de rébellion contre la domination masculine, mais également comment d’autres discours autour des sens, dans les pamphlets, les traités, ou au théâtre, ont pu émerger pour défendre au contraire la thèse de la supériorité féminine ou de l’égalité entre les sexes. Les peintures ou les gravures mettant en scène un des cinq sens pourront également éclairer cette question et permettre de répondre à l’invitation de Margaret Zimmerman de chercher la « Querelle des sexes » dans d’autres lieux, moins habituels[2].

Enfin, dans la dynamique initiée par Linda Woodbridge[3], nous chercherons également à mettre en perspective les discours théoriques et littéraires en les éclairant par l’histoire sociale des femmes dans les Îles britanniques, en tentant, par exemple, de dégager les mécanismes de socialisation des hommes et des femmes qui mettent à contribution les sens, parfois dès l’enfance, au prétexte qu’ils furent instaurés pour que chacun reste à la place qui lui est assignée. La littérature prescriptive (livres de conduite, sermons, traités d’éducation, etc..), mais aussi la presse pourront ainsi être revisitées pour faire émerger des règles de civilité qui visent à restreindre l’appétit, mais également à imposer une codification du regard ou du toucher, comme de la voix ou de la parole. Les objets permettant de matérialiser cette codification trouveront également leur place dans le chantier que nous ouvrons ici.

À travers l’ensemble de ces sources, on tentera collectivement de réfléchir au rôle des sens dans la construction de la différence des sexes entre le XVIe et le XVIIIe siècle ; on pourra aborder les questions suivantes :

  1. Comment les misogynes ont-ils exploité les sens dans leur argumentation pour justifier la hiérarchie des sexes : à travers l’incapacité présumée des femmes à contrôler les sens ; par la théorie d’un complot sensoriel ourdi par les femmes et visant à aveugler les hommes et plus généralement à affaiblir leur pouvoir ; par le lien entre la déchéance morale et les sens ? Entre les sens et le mysticisme, la sorcellerie ou les phénomènes de possession ?
  2. Comment les philogynes ont-ils défendu les femmes et/ou l’égalité des sexes : par une dévalorisation des hommes en tant que créatures sensuelles et une revalorisation des femmes en tant que créatures rationnelles ; par la revalorisation des sens « féminins » ou des capacités sensorielles des femmes ?
  3. Quels aspects de la situation des femmes rencontrent un écho (favorable ou défavorable) dans ces discours en matière de : règles et préceptes ; possession et d’utilisation d’objets témoignant d’une appropriation genrée ; pratiques de mortification du corps ; pénalisation et de châtiments corporels (scold’s bridle, cucking stool) ?

Les propositions de communication (environ 150 mots) devront être envoyées, accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique, pour le 30 juin 2017 aux organisatrices à l’adresse suivante : sens_2018@yahoo.com.

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English Version

International Conference : « The Senses and the Construction of Gender (XVIth – XVIIIth Century) »

30-31 March 2018

Université Sorbonne Nouvelle / Université Versailles-Saint-Quentin

Call for papers :

Over the past three decades, research on the discourses on the equality/inequality between the sexes has intensified. In the context of the British Isles, it has particularly focused on the period 1540-1640 which was particularly prolific on the subject in the wake of the Reformation, Renaissance humanism and the succession of three queens on the English and Scottish thrones. The controversies of that time reactivated at least four debates inherited from the middle Ages: the debate on marriage, the contest for knowledge, the debate on woman’s rule and finally the debate about clothes and gender roles. Those debates raised the following questions: was it in the interest of both sexes to be married? Should women have access to education and culture for their benefit and that of society at large? Could women rule without being de facto tyrants? And finally, a question that might sound subsidiary but which makes perfect sense in the light of the others: could men and women cross-dress without turning the world upside down?

In most cases, the scholarly works that have analyzed those different debates have focused on the differences between men and women in terms of intellectual and moral abilities that formed the core of the arguments of the philogynists and the misogynists. In so doing, they have almost entirely left out if not the body at least the five senses. Yet historians of the senses such as Constance Classen, Robert Jütte and David Howes have shown that the five senses were used in the various attempts to build a gender hierarchy in the XVIth, XVIIth and XVIIIth centuries. On the one hand, the senses were used to oppose one sex to the other, with man being traditionally described as a reasonable animal contrary to woman presented as a sensual creature. On the other hand, the masculine and the feminine have in turn been used to build a hierarchy between the senses since Plato and Aristotle, as for example, in De Sensu by Charles Bouvelles (1470-1559), and down to Molyneux’s problem and Locke’s empiricism. The noble senses (sight and hearing), traditionally associated with the mind, have thus been considered as masculine and the senses of proximity (taste, smell and touch), more corporeal, as feminine. It is not surprising therefore that Biblical exegesis should have attributed the responsibility of the fall to Eve’s greediness.

The senses were also used in the ancient theories of gender and sex, still influential in the early modern period, to differentiate between men and women from a sensory perspective. The male sensorium was seen as distinct from the female sensorium. In the humoral theory developed in the Hippocratic corpus on which the sixteenth- and seventeenth-century medicine was still based, woman is cold and wet while man is warm and dry. People also believed that they could tell man and woman apart by touching them, smelling them, looking at them or listening to them. According to the poet Lucretius, men’s scent is sweet while women’s stench is disgusting and foul, and in Socrates’ thought, borrowing the perfume of the opposite sex was as reprehensible as cross-dressing. As Thomas Laqueur demonstrated in an important work entitled Making Sex: Body and Gender from the Greeks to Freud (1990), the advances in medicine in the XVIIth and XVIIIth centuries, and particularly in physiology, redefined the sexes along anatomical and physiological lines, which led to a more precise – and to some extent normative – definition of female sensitivity.

Finally, Aristotle (in Generation of Animals) argues in favour of colour-gender norms to distinguish between men and women visually: for the former, dark clothes indicating their strength and gravity, for the latter, and merely for the sake of symmetry, light colours. This gender-specific apparel, however, has evolved over the centuries and it would be interesting to delve into what Elisabeth Fisher has called “a chromatic taxonomy” of clothes at all stages of life from the XVIth to the XVIIIth century.[4]. In addition, the different sounds produced by the two sexes with their clothes, jewellery, musical instruments or any other objects as well as their voices are also elements that can potentially be gendered and used to classify the sexes. Beside the research on shrews and gossips, who were stock characters in the popular pamphlets of the Querelle, gender-specific sounds in the early modern period have been little studied. It would therefore be interesting to investigate the various sources that can be used to try to make the sounds and vocal activity of the two sexes heard again.

The aim this conference is to investigate the role played by the senses in shaping gender differences. How did the senses help justify gender inequalities and stigmatize any form of rebellion against masculine domination ; how did different discourses on the senses in pamphlets, treatises or plays nevertheless surface to defend the opposite theses of female superiority or of the equality between the sexes ? Paintings and engravings representing the five senses could also be used, perhaps, to shed light on this question and encourage us, in the wake of Margaret Zimmerman’s invitation, to look for “the Querelle of the sexes” in different and less common places.[5]

Finally, in the perspective inaugurated by Linda Woodbridge,[6] we shall also seek to historicize contemporary theoretical and literary discourses in the light of the social history of women in the British Isles. We will for instance try to highlight the mechanisms of socialisation for men and women which are based on the senses, sometimes from early childhood, on the ground that they were shaped in a predetermined way which defined everyone’s position in society. Prescriptive literature (conduct books, sermons, treatises on education, etc…) and newsbooks can be used to bring to the fore the rules of civility which were designed to restrain the appetite (for instance), as also to codify the way men and women were supposed to look at or to touch things and people, or to modulate their voices when they spoke. The specific objects that helped give shape to these gendered codes can also be studied here.

The conference organizers welcome papers on questions such as:

  1. How did misogynists use the senses in their argument to justify gender hierarchy through the alleged inability of women to keep their senses under check? Through the theory of a sensorial plot hatched by women to blind men and even disempower them? By the association between the senses and moral degradation? Between the senses and mysticism, or witchcraft, or possession?
  2. How did philogynists defend women and gender equality through: the disparagement of men as sensual creatures and the praise of women as rational creatures; a reappraisal of the feminine senses and of women’s sensory abilities?
  3. Which aspects of early women’s position met with positive or negative responses in these discourses in terms of: rules and precepts? Ownership and use of gendered objects? Practices of corporal mortification? Criminalisation and corporal punishments (scold’s bridle, cucking stool)?

Abstracts of about 150 words for 25-minute papers should be sent to the following address : sens_2018@yahoo.com, before 30 June 2017.

Organizers:  Armel Dubois-Nayt, Line Cottegnies, Claire Boulard et Isabelle Bour (PEARL – PRISMES : EA 4398), Université Sorbonne Nouvelle / DYPAC : EA 2449, Université Versailles-Saint-Quentin.

 

 

[1] « Robes et Culottes courtes : l’habit fait-il le sexe ? », in A. Dafflon Novelle, Filles-Garçons : Sociabilisation différenciée ?, Grenoble, PUG, 2006, p. 241-266.

[2] « The Querelle des Femmes as a Cultural Studies Paradigm », in A. Jacobson Schutte, T. Kuehn & S. Seidel Menchi (éd.), Time, Space, and Women’s Lives in Early Modern Europe, Kirksville (Missouri), Truman State UP, 2001, p.17-28.

[3] Linda Woodbridge, Women and the English Renaissance : Literature and the Nature of Womankind, 1540-1620, Brighton : Harvester, 1984.

[4] « Robes et Culottes courtes : l’habit fait-il le sexe ? », in A. Dafflon Novelle, Filles-Garçons : Sociabilisation différenciée ?, Grenoble, PUG, 2006, p. 241-266.

[5] « The Querelle des Femmes as a Cultural Studies Paradigm », in A. Jacobson Schutte, T. Kuehn & S. Seidel Menchi (éd.), Time, Space, and Women’s Lives in Early Modern Europe, Kirksville (Missouri), Truman State UP, 2001, p.17-28.

[6] Linda Woodbridge, Women and the English Renaissance : Literature and the Nature of Womankind, 1540-1620, Brighton : Harvester, 1984.

 


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