19 mai 2017 Journée d’étude – Université Toulouse Jean Jaurès Frederick Wiseman : Ordre et résistance

Journée d’étude – Université Toulouse Jean Jaurès – 19 mai 2017

Frederick Wiseman : Ordre et résistance

De tous les cinéastes américains en activité, le documentariste Frederick
Wiseman est sans doute le plusprolifique. Au rythme d’un long métrage tous
les deux ans depuis 1968, en moyenne, la filmographie vaste etcomplexe de
Wiseman est échafaudée autour d’une série de lignes de force thématiques
et unifiée par une discrètecohérence formelle dans lesquelles la critique
a su déceler, au moins depuis sa découverte en France à la fin desannées
soixante-dix, l’expression singulière d’un style. Si elle est
incontestablement légitime, cette reconnaissanceest pourtant plaidée avec
des arguments devenus des angles d’analyse par trop répétitifs et
restrictifs : Wisemancomme chroniqueur de l’Amérique, Wiseman comme
cinéaste des institutions, Wiseman comme documentaristefranc-tireur, etc. La
sortie récente de trois coffrets DVD édités par Blaq Out couvrant
l’ensemble de sa carrièrepermet, pour la première fois, de saisir la
totalité de son œuvre d’un regard englobant et nouveau. Le regain
d’intérêtcritique autour de sa personne, confirmé par l’Oscar d’honneur
qui lui a été remis le 12 novembre 2016, témoignenten outre de la
pertinence et de la pérennité des questions que posent ses films, tout
autant que de la nécessitébrûlante de leur réexamen. La venue de Wiseman
à la Cinémathèque de Toulouse lors d’une rétrospective partielleen mai
2017 sera l’occasion de revisiter son œuvre incontournable mais peut-être
mal connue.

La caméra et le montage des films de Frederick Wiseman engagent l’attention
dans des expériences poétiqueset discursives singulières, partagées entre
oppression spatiale et dilatation temporelle, acuité du regard et opacitédu
discours. Ses films savent ainsi garder trace de l’événement ordinaire
résistant au permanent rappel à l’ordrede son déterminisme structurel. Le
but de cette journée d’études sera de revenir sur une œuvre qui, comme
lesuggère Pierre Legendre, n’est rendue possible que par la capacité qu’a
son auteur « d’être un résistant ».Essentielle dans son œuvre, cette notion
de résistance peut se décliner en différents régimes relationnels.

Si Wiseman filme des institutions, d’une prison psychiatrique à unquartier
de New York, il montre avant tout des individus en situationde résistance
face à la violence physique ou symbolique exercée parl’appareil répressif
auquel les soumet leur environnement. Commentla violence de l’ordre établi
se manifeste-t-elle et comment l’individu,qui est à la fois sujet filmé et
acteur social, peut-il lui résister ? En quoile refus individuel de
coopérer et l’action collective constituent-ils desmodalités de résistance
? Les sujets sociaux échappent-ils auxfonctions sociales auxquelles leurs
communautés les assignent ?

L’absence de voix-off surplombante permet de ne pas instrumentaliser les
sujets filmés à un point de vuepolitique préexistant au tournage, laissant
au spectateur la liberté de résister à l’imposition d’une lecturesimpliste
des films et de la société qui y est représentée – liberté relative car
guidée par le cadrage et le montage.Cependant, les films de Wiseman se
doublent d’une parole parafilmique, celle du cinéaste lui-même,
premiercommentateur de sa pratique. À la faveur d’ouvrages et d’entretiens,
Frederick Wiseman a souvent été sollicitépour analyser ses intentions,
préciser son point de vue et détailler sa manière de faire. Ce discours de
la méthodeest riche d’enseignements mais on peut se demander s’il donne lieu
à une théorisation réflexive ou à unresserrement de ses possibilités
d’interprétation.

En 1980, Serge Le Péron estimait que Wiseman « tourne, avec une surprenante
permanence, le dos aucinéma américain d’aujourd’hui ». S’il est parfois
assimilé au courant du cinéma direct développé aux Etats-Unisau début
des années 1960, il est plus souvent décrit comme un franc-tireur ne
participant à aucun mouvementet développant une esthétique et une éthique
singulières. La difficulté à catégoriser son cinéma est-elle lesymptôme
de sa résistance, ou de sa défiance, aux pratiques dominantes à la fois du
cinéma hollywoodien etdes différentes traditions documentaires ?

Lors de cette journée d’études, tous les aspects de l’œuvre deWiseman, dans
son rapport à l’ordre et à la résistance, pourrontêtre envisagés, en
privilégiant les aspects les moins abordés deson cinéma. Les propositions
de communication pourronts’appuyer sur un film, sur des groupements
thématiques de films,tels que ceux proposés par Philippe Pilard, ou sur la
parolethéorique du cinéaste. D’un point de vue méthodologique,
nousprivilégierons une approche esthétique qui permettraéventuellement
d’agréger à l’analyse formelle des questionsd’ordre sociologique,
philosophique ou politique

Les pistes suivantes, qui ne se veulent en aucun cas limitatives, peuvent
être considérées :

– La relation de Wiseman au cinéma américain : lui tourne-t-il réellement
le dos ? Ses films ne contiennent-ils pas de potentiels micro récits au sein
du réel qu’ils ordonnent ? N’existe-t-il pas en outre dans certainsde ses
films une familiarité avec le désordre propre à la comédie burlesque
américaine, qui se traduirait enses propres termes par les formes de «
l’humour objectif » ?

– La relation de Wiseman aux pratiques documentaires : peut-il être
considéré comme un praticien ducinéma direct ? Dans quelle mesure
offre-t-il une alternative à la doxa du cinéma direct ?

– Sa relation à la langue : les sociolectes peuvent-ils être envisagés
comme moyens de résistance à lanovlangue du pouvoir ? Un changement de
perspective est-il repérable avec ses films en français ?

– Quels sont les outils esthétiques mis en place par Wiseman pour suggérer
son point de vue sur le réel qu’ilfilme ? Quel usage fait-il du gros plan ?
Quelle valeur donne-t-il à la durée des plans ? La remise en ordredes
rushes par le montage autorise-t-elle une lecture univoque ou plurielle ?

– L’évolution du dispositif technique (passage à la couleur, au
numérique) entraine-t-elle automatiquementune modification des enjeux
éthiques des films ?

– La neutralité apparente du cinéma de Wiseman fait-elle le jeu des
institutions, comme cela a pu lui êtrereproché, ou participe-t-elle d’une
forme de militantisme en creux ?

Cette Journée d’étude se déroulera à l’Université Toulouse Jean Jaurès
le 19 mai 2017.

Merci d’envoyer vos propositions de communication (300 mots environs),
accompagnées d’une courtenotice biographique avant le 20 janvier 2017 à
Zachary Baqué (Zachary.baque@univ-tlse2.fr) et VincentSouladié
(souladie.vincent@gmail.com)


Publié

dans

par

Étiquettes :