10 décembre 2019 « L’heure de nous-mêmes a sonné »[1] : Étude transatlantique et transdisciplinaire des contre-représentations noires de 1945 à nos jours Université de Picardie Jules Verne,

 

 

 

Le titre du roman de Ralph Ellison, Invisible Man, publié en 1952, souligne la dialectique « présence-absence » des Africain.e.s-Américain.e.s dans une société qui ne les représente le plus souvent que pour les stigmatiser. On pense ainsi à des exemples bien connus de racisme qui vont des images du Coon américain à celle du tirailleur Banania français — au point que l’expression « Jim Crow » qui désigne le système ségrégationniste provienne d’un des personnages des spectacles de Blackface Minstrelsyles plus prisés de son époque. La racialisation, comme construction d’une catégorie raciale subjective, s’est emparée de toutes les formes de représentations, à commencer par la représentation iconographique d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique[2]. Face à ces stéréotypes raciaux, la production d’images par les Noir.e.s a été tout aussi prolifique même si elle s’avère moins connue du grand public.

 

L’enjeu majeur de cette journée d’étude sera donc d’interroger la multiplicité des productions visuelles issues des populations noires et membres de la diaspora entre Europe et Amérique dans la seconde moitié du 20e siècle. Il s’agira tout particulièrement de considérer les réalisations questionnant, directement ou en creux, les modèles traditionnels de représentation de ces populations — par exemple des représentations faisant montre d’une rupture idéologique et/ou visuelle vis-à-vis des canons dépréciatifs, largement ancrés dans l’imaginaire collectif international, qu’il s’agisse de contre-modèles positifs ou de propositions subvertissant d’anciens cadres de représentations dépréciatifs.

 

Un autre angle d’approche possible du sujet pourra concerner des images ignorées voire exclues du champ de recherche de l’histoire officielle car ils émanent d’acteurs marginaux ou plus simplement tombés dans l’oubli et seraient donc confinés « à la marge » des études sur les représentations[3]. Ce choix de recourir à un éventail varié de sources visuelles variées, couplé au prisme d’observation transatlantique permettra aux intervenant.e.s derevenir sur les lieux communs propres aux représentations noires, de les déconstruire et d’en proposer une lecture renouvelée à l’aune de l’analyse desdites productions.

 

De fait, les questionnements liés aux (contre-)représentations, aujourd’hui placés au cœur des débats contemporains, s’inscrivent dans un cheminement historique au sein duquel la Seconde Guerre mondiale marque une double rupture. A la suite des génocides, elle place tout d’abord le refus du racisme au cœur du consensus démocratique. Par ailleurs, après avoir été au cœur de mouvements artistiques et militants noirs durant la première moitié du XXe siècle (Renaissance de Harlem notamment), les mobilisations des Africain.e.s-Américain.e.s trouvent un écho renouvelé dans le contexte particulier de l’après-guerre. De l’autre côté de l’Atlantique, la question coloniale éclate quant à elle avec force dans des empires ébranlés, illustré avec force dans le cas français avec les bombardements de Sétif et Guelma en Algérie dès le 8 mai 1945… Des femmes et des hommes, artistes, auteur.es, intellectuel.le.s, se sont réappropriés pour mieux les critiquer les codes des représentations noirs préexistants, et ont durablement transformé la « banque d’images mondiale » et les imaginaires.

 

On s’intéressera particulièrement – mais de façon non limitative – aux images fixes et animées par et/ou sur les Africain.e.s et les Noir.e.s issu.es de la diaspora, notamment ceux et celles qui ont fait l’objet de circulations transnationales et établi de facto de nouveaux paradigmes. Au-delà des images stricto sensu, on s’intéressera aussi à leurs conditions d’émergence, à leur réception, aux échos et réponses auxquelles elles renvoient. On pourra ainsi se pencher sur la façon dont la période étudiée a pu favoriser l’émergence de réseaux de production et de circulation « noirs » de ces représentations dissidentes. Des remises en cause majeures des stéréotypes raciaux ont émergé – tant du point de vue des représentations que de l’iconographie – remises en cause liées aux décolonisations comme à l’affirmation de société multiculturelles, dans un contexte où l’image occupe une place de plus en plus importante dans la culture de masse.

 

Le prisme transatlantique adopté ici offre de nouveaux éclairages ; l’image des Noir.e.s est en effet le produit d’interactions complexes, de métissages variés et de flux internationaux dans le contexte nord-américain – héritier de la période esclavagiste – ou dans le contexte français marqué du sceau du colonialisme jusqu’aux années 1960. Les systèmes de domination américains et européens étaient bien distincts : la ségrégation pour les premiers, la colonisation pour les seconds, cependant des analogies singulières émergent de part et d’autre de l’Atlantique, quant aux mises en images de la question raciale. Dans la logique de l’histoire croisée il s’agira d’aborder les circulations transatlantiques de ces images, et leurs répercussions, entrelacements et intersections. Nous encourageons les participant.e.s à cette journée à se saisir notamment de la notion fondamentale de « double conscience » (double consciousness) théorisée par W.E.B. Dubois en 1903 et de sa riche postérité. En effet, l’intellectuel noir américain évoque « cette conscience dédoublée, ce sentiment de constamment se regarder par les yeux d’un autre, de mesurer son âme à l’aune d’un monde qui vous considère comme un spectacle, avec un amusement teinté de pitié méprisante »[4]. Notons aussi que le terme renvoie à la conciliation de l’africanité des individus évoluant au sein des sociétés occidentales. De ce fait, une attention particulière sera portée aux communications qui traitent des diverses représentations (visuelles, musicales, littéraires…) matérialisant cette double-conscience ou, a contrario, des représentations qui s’en écartent volontairement et/ou en soulignent les limites.

 

Durant cette journée d’étude, nous nous attacherons également à ouvrir la réflexion aux multiples configurations possibles de ces « nouvelles » imageries. En 1992, le sociologue Stuart Hall s’interrogeait de façon provocatrice : « Qu’est-ce que ce terme « noir » dans la culture populaire noire ? ». Dans le même ordre d’idée, nous pourrons par exemple nous demander ce qui est « noir » dans les représentations noires et soulever ainsi la question de leur authenticité et donc de leur légitimité[5]. Les participant.e.s pourront tout à fait se pencher sur les (contre-)représentations issues de courants politiques et culturels cherchant à valoriser l’apport des peuples noirs à l’histoire mondiale et à l’imaginaire collectifs – la Négritude, le Panafricanisme ou le mouvement Black Power font également partie intégrante de cette réflexion.

 

Enfin, la question des conflits mémoriels afférents à ces représentations soulève des interrogations quant à la position que le chercheur ou la chercheuse peut adopter par rapport à ces images, se plaçant à la fois dans un contexte politique, économique et social donné et dans des historiographies parfois conflictuelles. Nous invitons les participant.e.s à réfléchir également à l’épistémologie de toute recherche liée à ces problématiques.

 

Propositions

 

Nous encourageons les chercheur.se.s de tous champs disciplinaires rattachés aux sciences humaines et sociales (histoire, histoire de l’art, civilisation, études cinématographiques, littérature, sociologie) à soumettre des propositions pour des communications en français ou en anglais.

 

Merci d’adresser votre proposition (300 mots), en anglais ou en français, éventuellement accompagnée d’images, ainsi qu’une brève biographie, pour le 30 octobre 2019 à l’adresse suivante : imagedenousmeme@gmail.com.

 

La publication d’une sélection des communications est envisagée.

 

Calendrier

Date de soumission : 30 octobre 2019

Notification de sélection : 10 novembre 2019

Date de la journée d’étude : 10 décembre 2019

 

Comité organisateur

Pierre Cras (Université Saint-Quentin en Yvelines)

Lamia Dzanouni-Brousse de Laborde (Université Picardie Jules Verne)

Olivier Mahéo (Université de Poitiers/ Université Sorbonne Nouvelle)

Alice Morin (Université Sorbonne Nouvelle)

 

Comité scientifique

Claire Bourhis-Mariotti (Université de Paris 8 Vincennes)

Cécile Coquet (Université de Tours)

Laurence Cossu-Beaumont (Université de la Sorbonne Nouvelle)

Sébastien Denis (Université de Picardie Jules Verne)

Marianne Kac-Vergne (Université Picardie Jules Verne)

Hélène Le Dantec-Lowry (Université de la Sorbonne Nouvelle)

Céline Mansanti (Université Picardie Jules Verne)

Claire Parfait (Université Paris 13 Villetaneuse)

Matthieu Renault (Université de Paris 8 Vincennes)

Maboula Soumahoro (Université de Tours)

 

“Our Time Has Come”[6]:

Towards Transatlantic and Transdisciplinary Approaches

 to Black Counter-Representations, from 1945 until Today

 

Université de Picardie Jules Verne, Amiens

December 10th, 2019

 

 

Within the title of Ralph Ellison’s 1952 novel Invisible Man lies a hint of the “presence/absence” dialectic that has weighed on African-Americans throughout history: the artistic representations of this section of society are predominantly negative and stigmatizing. Indeed, examples of racist visuals in both France and the US are far from scarce, ranging for instance from the American “Coon” to the French skirmisher Banania—even “Jim Crow” was originally a character in one of the most popular Blackface Minelstry shows of the 19th century. Understood as a subjective racial construct, racialization has long permeated all forms of representations on both sides of the Atlantic, and first and foremost in iconographic representations.[7]Black people have produced a body of (self)representations in response to the proliferation of racial stereotypes in mainstream culture, though these are less visible to a wider audience.

 

The central goal of this conference lies thus in the investigation of the multiplicity of visual representations produced by the Black population and diaspora between France and the United States in the second half of the 20th century. In particular, we invite researchers to focus on productions which have challenged—directly or indirectly—the traditional canon for Black representations. Of particular interest in this conference are examples demonstrating a visual/ideologic rupture with depreciative models that permeated the public imagination in the West, whether they be positive counter-models or new visual representations aiming to critically subvert formerly pejorative representational frames.

 

The primary, but not sole, focal point of our conference is still and animated pictures made by/about Black Americans and members of the Black diaspora; as such, (case) studies of images which circulated transatlantically and contributed to establishing new paradigms will be particularly appreciated. Beyond the images themselves, we are interested in learning about the context of their production (historical as well as material) and their reception, as well as their posterity and influence. For instance, papers conducting studies about how, in the time period, networks of Black production and circulation have been able to emerge are most welcome. All these reconfigurations have increasingly come to occupy public space, with renewed vigor since the “long postwar era,” during which dissentive representations came to light in the context of a “society of mass images,” also confronted with decolonization and multiculturalism.

 

Though such re-readings have become quite topical and now participate in contemporary debates on visibility and the writing of history, their roots are in fact historical. 1945 represented a breaking point, the emergence of “new” Black counter-representations becoming more “audible,” while following genocides, a redistributed narrative pushed democratic consensus and relinquishment of racism to the fore. African-Americans’ renewed activism in the US was echoed in the agitated colonial context, in particular in Algeria where the French army bombed Setif and Guelma as early as May 8th, 1945, illustrating the undermining of colonial empires.

 

The transatlantic frame of analysis chosen for this conference will allow for new insights into the formation of a (counter)canon of Black representations, as they have long been produced at the intersection of complex interactions, various hydridizations and international fluxes, in the American context in the wake of the Triangular Trade, as well as in the French context, heir to colonialism until the 1960s. While both systems are distinct—based on segregation for the former and colonialism for the latter—singular analogies can be drawn between both republics, in terms of “imaging” the question of race. Using the tools of comparative history, we intend to approach the transatlantic circulation of these images by analyzing the intertwining of contact points, as well as their repercussions, between the US and French systems.[8]

 

In order to do so, we encourage prospective speakers to consider the seminal notion of “double consciousness,” coined in 1903 by W.E.B. DuBois and subsequently developed in various disciplinary fields. In the Black-American thinker’s words, “this double-consciousness, this sense of always looking at one’s self through the eyes of others, of measuring one’s soul by the tape of a world that looks on in amused contempt and pity”.[9]It should be noted that the expression also touches upon the conciliation of the Africanness of individuals in Western societies. As a consequence, proposals tackling representations (be they visual, musical, literary) which materialize this “double consciousness,” or conversely which deviate from it in order to show its limits, will be considered particularly favorably.

 

During this conference, we will also focus on opening the reflection to the multiple possible configurations of these « new » imageries. In 1992, sociologist Stuart Hall put forward the provocative question: « What is this ‘black’ in Black popular culture?”[10]In the same vein, we could, for example, ask what is « black » in Black representations and thus raise the question of their authenticity, and therefore their legitimacy. In order to extend this reflection, participants will be able to focus on (counter)representations from cultural currents seeking to value the contribution of Black people to world history and the collective imagination, such as Negritude, Pan-Africanism or the Black Power movement, which may also form part of the reflection.

 

Another possible perspective could concern images ignored or even excluded from the research field of official history because they come from marginal actors or have simply fallen into oblivion and would therefore be confined « to the margins » of representation studies. The use of a range of diverse visual sources, coupled with the transatlantic observation prism, will allow speakers to revisit the common ground of Black representations, to deconstruct them and to propose a renewed reading in the light of the analysis of these imageries.

 

Finally, the issue of memorial conflicts related to these representations raises questions about the position that researchers can adopt in relation to these images, placing themselves in a given political, economic and social context as well as in historiographies that are sometimes in conflict with one another. We therefore invite future participants to reflect also on questions of standpoint epistemology, and to examine the commitment of specialists to representations that are still the subject of much debate today. This more theoretical approach will allow participants to contextualize and put into perspective the case studies discussed, in order to highlight their possible political nature.

 

Proposals

 

Researchers across all disciplinary fields of humanities and social sciences (such as history, art history, American or French studies, English, sociology, etc.) are welcome to submit a proposal. Papers should be twenty minutes in length and may be delivered in French or English.

 

Please address a 300-word abstract, accompanied by a short biography, to the organizers by October, 30th 2019 at imagedenousmeme@gmail.com.

Images may be included in the proposals.

We will confirm acceptance by November, 10th 2019.

 

We hope to publish the papers presented at the symposium, in a format still to be determined.

 

Deadline for submissions October 30th, 2019

Notification of acceptance November 10th, 2019

Date December 10th, 2019

 

Organizing Committee

Pierre Cras (Université Saint-Quentin en Yvelines)

Lamia Dzanouni-Brousse de Laborde (Université Picardie Jules Verne)

Olivier Mahéo (Université de Poitiers/Université Sorbonne Nouvelle)

Alice Morin (Université Sorbonne Nouvelle)

 

Scientific Committee

Claire Bourhis-Mariotti (Université de Paris 8 Vincennes)

Cécile Coquet (Université de Tours)

Laurence Cossu-Beaumont (Université de la Sorbonne Nouvelle)

Sébastien Denis (Université de Picardie Jules Verne)

Marianne Kac-Vergne (Université Picardie Jules Verne)

Hélène Le Dantec-Lowry (Université de la Sorbonne Nouvelle)

Céline Mansanti (Université Picardie Jules Verne)

Claire Parfait (Université Paris 13 Villetaneuse)

Matthieu Renault (Université de Paris 8 Vincennes)

Maboula Soumahoro (Université de Tours)

[1]Césaire, Aimé, Oeuvres complètes, Fort-de-France : Désormeaux, 1976, tome 3, 463-473.

[2]Dans les années 1960 le mécène et collectionneur d’art Dominique de Menil initia le projet de recherche et d’édition autour des représentations des Noirs dans l’art occidental. Les dix volumes de cette collection sont devenus une référence incontournable sur le sujet. Voir Bindman, David, Henry Louis Gates, et Karen C. C Dalton, The Image of the Black in Western Art, Cambridge/Houston : Belknap Press of Harvard University Press, en collaboration avec le W.E.B. Du Bois Institute for African and African American Research, Menil Collection, 2010.

[3]Werner Michael et Bénédicte Zimmermann (dir.), De la comparaison à l’histoire croisée, Paris : Le Seuil, 2004.

[4]DuBois, W. E. B., Les âmes du peuple noir (1903), Paris : La Découverte, 2007, 11.

[5]Dent, Gina, Black Popular Culture, New York : The New Press, 1998, 21. Ce recueil inclut le texte de Stuart Hall, écrit en 1991 à l’occasion d’un colloque au Dia Center for the Arts, New York (« What is this “Black” in Black Popular Culture? »).

——

[6]Césaire, Aimé, Œuvres complètes, Fort-de-France: Désormeaux, 1976, tome 3, 463-473.

[7]In the 1960s, the patron and art collector Dominique de Menil initiated the research and publishing project around representations of blacks in Western art. The ten volumes of this collection have become an essential reference on the subject. Bindman, David, Henry Louis Gates, and Karen C. C Dalton, The Image of the Black in Western Art, Cambridge/Houston: Belknap Press of Harvard University Press, in collaboration with the W.E.B. Du Bois Institute for African and African American Research Menil Collection, 2010.

[8]Werner, Michael and Bénédicte Zimmermann, « Penser l’histoire croisée : entre empirie et réflexivité, » Annales.Histoire, Sciences Sociales 1, 2003.

[9]DuBois, W. E. B., The Souls of Black Folk, New York: Dover Publications, 1903, 2.

[10]Dent, Gina, Black Popular Culture, New York: The New Press, 1998, 21. This collection includes Stuart Hall’s 1991 text, delivered at a symposium organized by the Dia Center for the Arts, « What is this ‘Black’ in Black Popular Culture? »


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